Contre les collèges-ghettos, des initiatives à confirmer

La ministre de l’Education a annoncé mardi que 82 nouvelles expérimentations sont en préparation.

Avec la magie de Noël, on aimerait croire la ministre de l’Education nationale quand elle dit qu’un «mouvement est lancé», bien réel sur le terrain, et qui doit se poursuivre «grâce à la détermination des acteurs de terrain», même après la présidentielle… Najat Vallaud-Belkacem présentait ce mardi un bilan – qui ressemblait plus à un point d’étape – de l’action du gouvernement en faveur de la mixité sociale dans les collèges.

Quelle était l’idée de départ ? C’était l’un des engagements de la gauche à son arrivée au pouvoir en 2012 : prendre des mesures pour lutter contre les établissements-ghettos. «La ségrégation qui existe dans nos établissements n’est pas un ressenti ou un fantasme : c’est une réalité, dont nous connaissons l’ampleur, et dont nous mesurons les effets délétères», a réaffirmé la ministre, mardi. Le constat ne fait plus débat, la situation est connue de tous, pointée par les enquêtes internationales (et dernièrement Pisa). En France, 63 % des collégiens d’origine sociale défavorisée sont scolarisés dans seulement 10 % des établissements. La ségrégation est plus forte dans les grandes villes, où les familles contournent plus la carte scolaire car les collèges sont proches les uns des autres.

L’objectif d’une plus grande mixité avait été inscrit dans la fameuse loi de refondation de l’école de 2013. Mais il a fallu attendre les attentats de janvier 2015 pour que les choses commencent un peu à bouger… La ministre avait alors lancé un appel à la mobilisation aux départements volontaires. L’originalité de son plan tenait surtout à la méthode. Plutôt que d’«imposer une énième réforme de la carte scolaire par le haut», la ministre proposait de prendre le problème à l’envers : aider chaque territoire à trouver des solutions locales, du cousu main. Et prenant le temps de convaincre les parents qu’il est dans l’intérêt de leur enfant d’être dans un établissement mixte. Beaucoup l’ignorent, mais la recherche scientifique a montré que la mixité dans un collège (et dans la classe !) a des effets positifs ou neutres sur les résultats scolaires de la quasi-totalité des élèves (exception faite de la petite élite des très bons élèves). En novembre 2015, la ministre annonçait avoir «convaincu» 20 départements «de droite et de gauche» de participer à l’expérimentation, portant à chaque fois sur un territoire bien délimité : un périmètre comprenant deux ou trois collèges proches les uns des autres et avec des écarts significatifs dans leur composition sociale.

Où en est-on aujourd’hui ?

A la rentrée 2016, sur les 20 projets annoncés un an avant, 12 se sont concrétisés, selon le ministère. Certains élus locaux ont renoncé en cours de route, d’autres ont reporté à la rentrée 2017, parfois en réduisant la voilure, comme Paris qui a divisé par trois le nombre de projets envisagés. «L’acceptabilité politique des maires d’arrondissement était une condition indispensable», a expliqué le rectorat, mardi, lors de la journée d’études organisée par le ministère mardi. En clair, toucher à la carte scolaire est très souvent sujet à mécontentement. Vallaud-Belkacem avait convié au pied de la tour Eiffel élus locaux, rectorats, chercheurs scientifiques et… journalistes pour dresser un premier bilan. Et surtout, annoncer un nouveau chiffre triomphant : «Désormais, ce sont 27 académies, 46 départements, 82 projets et 248 collèges qui sont investis dans la démarche !»

A quoi ressemblent concrètement ces expérimentations ? Sur les 12 projets qui ont abouti, la moitié sont des secteurs multicollèges (appelée aussi sectorisation élargie). L’idée est la suivante : sortir de la logique «tel quartier d’habitation dépend de tel collège» pour créer un secteur plus vaste, comprenant plusieurs collèges à l’intérieur. Les critères d’affectation varient ensuite d’un endroit à l’autre, souvent après concertation avec les familles (comme à Paris). Parmi les autres projets concrétisés : beaucoup ont joué sur les options proposées pour attirer des familles favorisées dans des collèges à mauvaise réputation. C’est la solution testée à Montpellier au collège Las Cazes, devenu «pilote» après la mobilisation des mères du Petit-Bard (Libération du 28 octobre). Le ministère intervient surtout en appui technique pour fournir des données chiffrées très précises sur la composition sociale de chacun des secteurs.

Quelles sont les limites ?

Les critiques sont de plusieurs ordres. D’abord, le nombre d’établissements concernés. Malgré les annonces de la ministre ce mardi, il reste anecdotique comparé aux 7 100 collèges en France. «Une dynamique est enclenchée, c’est incontestable, et c’est le plus important, vraiment», défend l’entourage de la ministre. Une autre question se pose : cette «dynamique» a-t-elle une chance de survie en cas d’alternance à la présidentielle ? Comme le rappelle Nathalie Mons, la présidente du Conseil national d’évaluation du système scolaire, «l’alliance entre collectivités territoriales et Etat est essentielle, car la compétence est partagée : les collectivités définissent la sectorisation (telle rue dépend de tel collège) tandis que l’Etat garde la main sur l’affectation (et accorder ou non des dérogations). Cela ne peut fonctionner que si les deux avancent dans le même sens !» Encore faut-il que le privé joue le jeu… La perspective d’une victoire de la droite ne rend pas non plus le terrain facile aux élus locaux pour «résister» aux pressions, notamment des parents.

Libération 14/12/2016