A Shanghaï, de grandes écoles françaises à l’assaut du marché chinois

De plus en plus de programmes permettent aux étudiants français et chinois d’accéder à des diplômes aux créneaux porteurs.

Tandis qu’une campagne officielle continue de cibler les « infiltrations idéologiques » dues aux « valeurs occidentales », le président Xi Jinping a sommé en décembre les universités de renforcer les cours de théorie marxiste. Sans menacer, pour le moment, les établissements d’enseignement des pays capitalistes – Etats-Unis, Royaume-Uni et France en tête – qui continuent de se développer en Chine, depuis son entrée, en 2001, dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Sous conditions. Pour pouvoir enseigner à des Chinois, il faut impérativement que les étrangers nouent des partenariats avec des universités chinoises.

L’effervescence règne cependant parmi les établissements français à Shanghaï, l’ancienne tête de pont des puissances coloniales devenue la métropole la plus peuplée (20 millions d’habitants) et la plus dynamique de Chine. Alors que onze grandes écoles ou universités françaises sont représentées à Pékin, elles sont au nombre de dix-huit dans le bassin de Shanghaï et multiplient leurs nouveaux programmes.

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Shanghaï et Pékin

Parmi elles, l’Essca d’Angers vient de fêter le dixième anniversaire de son implantation à l’ombre des gratte-ciel futuristes de Pudong, le « Manhattan de Shanghaï », en inaugurant deux MBA, l’un spécialisé dans le marketing et la transformation digitale, l’autre dans la stratégie et la communication dans le secteur du luxe. En février, un programme de formation continue sur deux ans sera destiné prioritairement à des entrepreneurs chinois. Cette école de commerce postbac accueille chaque année quelque 300 étudiants de son programme grande école, sur un semestre, dans ses locaux de l’avenue Wusong, régulièrement agrandis. Depuis trois ans, 20 étudiants de l’Essca suivent un double master franco-chinois en affaires internationales à l’université de Fudan et autant d’étudiants de cette dernière passent une année à Angers. « Nous avons démarré modestement à Shanghaï, dans un contexte de forte croissance économique chinoise, avec l’objectif de préparer nos élèves à aborder l’énorme marché de ce pays, explique Catherine Leblanc, directrice de l’Essca. Nous avons géré la relation de près pour qu’elle demeure, y compris dans les soubresauts, par exemple lorsque le président Sarkozy a rencontré le dalaï-lama en 2008, ce qui a momentanément rendu l’obtention de visa plus difficile. Nos activités à Shanghaï s’autofinancent depuis un an et demi et nous réinvestissons sur place. »

Deux autres écoles de commerce françaises misent de plus en plus sur la clientèle chinoise. L’EM Lyon possède, depuis 2007, un campus au sein de l’université normale de la Chine de l’Est (ENCU), à Shanghaï, qui reçoit chaque année plus de 1 000 élèves. Les deux établissements viennent de créer, sur un nouveau campus, une école commune, l’Asia European Business School, destinée à former des étudiants français et chinois en bachelor, puis, à partir de septembre, en master.

Kedge Business School, basée à Bordeaux et Marseille, affiche clairement ses ambitions : « Nous voulons doubler notre activité en Chine dans les cinq ans », indique Thomas Froehlicher, son directeur général. Aux cadres chinois, Kedge propose un MBA et un programme de formation continue délivrés avec l’université Jiao Tong de Shanghaï. Elle a par ailleurs choisi d’adhérer à un type de structure original, les instituts franco-chinois (IFC), qui proposent un programme licence-master en cinq ans principalement suivi par des étudiants chinois. Ils passent les deux premières années en Chine, la troisième en France, la quatrième en Chine et la cinquième de nouveau en France. Le cursus est sanctionné par des diplômes reconnus dans chacun des pays.

Le dernier né de ces IFC, inauguré en novembre à Shanghaï, est spécialisé en management des arts et du design. Il associe, outre Kedge, Paris-Sorbonne et l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Paris à l’Académie des beaux-arts de Chine. Créé en 2010, un autre IFC, consacré à la finance, la gestion et la communication, réunit cette année 730 étudiants de l’université Renmin de Chine sur son campus de Suzhou, à une petite heure de train au sud-est de Shanghaï, 158 étudiants de Kedge et quelques-uns de l’université Paul-Valéry de Montpellier ou de Paris-Sorbonne.

Au total, neuf IFC, dont sept forment des ingénieurs (dans les secteurs du génie, du nucléaire, de l’aviation civile ou des énergies renouvelables), ont été créés en Chine. « L’idée de ces structures est née en 2004, année croisée franco-chinoise. Le premier IFC a lié, dès 2005, le groupe des écoles Centrale à l’université Beihang de Pékin », rappelle Jean-François Vergnaud, codirecteur de l’IFC Renming. La même année, les universités de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM), Compiègne (UTC) et Troyes (UTT) se sont associées avec l’université de Shanghaï pour créer l’université de technologie sino-européenne.

Chaque IFC est codirigé par un Français et un Chinois. Aucun n’est maître de son recrutement côté chinois, fonction des résultats obtenus au gaokao, concours national, et de la capacité financière des familles. Les frais de scolarité varient de l’équivalent de 1 200 euros par an pour certains IFC d’ingénieurs à 8 000 euros pour l’IFC finance de Renmin, un niveau accessible aux seules classes supérieures. Les IFC sont cependant moins dispendieux que les cursus chinois des universités anglo-saxonnes.

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Un net avantage

L’école de commerce Skema basée à Nice était l’une des rares à avoir fait cavalier seul, avec son propre campus ouvert en 2009 à Suzhou, une initiative tolérée à condition de ne pas former d’étudiants chinois. Skema vient de changer de stratégie en signant, en avril 2016, un partenariat avec l’université Tongji de Shanghaï, pour mettre sur pied trois programmes communs : un MBA et deux masters of sciences.

Tous ces créneaux sont prometteurs. L’économie ralentit, le marché du travail est tendu en Chine, même pour les diplômés ; une formation dans un établissement étranger dispensée en anglais (ou en français pour les quelque 6 000 étudiants chinois formés chaque année dans les IFC) procure un net avantage et ouvre de bonnes perspectives auprès d’entreprises étrangères installées en Chine ou chinoises à l’étranger. Et les besoins de formation, en commerce ou en ingénierie, sont énormes.

L’idéologie marxiste n’y retrouvera peut-être pas son compte. « J’ai découvert en France les images des manifestations de la place Tiananmen en 1989 et une certaine philosophie de la contestation », confie un étudiant chinois après une année passée à Bordeaux. Dans l’autre sens, Thibault Genaitay, ex-étudiant de l’Essca venu terminer son master à Shanghaï, y a lancé sa start-up. Il propose notamment une formation de neuf semaines pour apprendre à coder. Un secteur d’avenir dans la métropole dont même les paysannes du marché aux légumes acceptent un paiement par l’application d’un smartphone.

Le Monde 11/01/2017