Les médias et Facebook montent au front contre les « Fake news »

Facebook consulte les médias français pour créer un dispositif anti-« fake news » dans l’Hexagone. Pendant ce temps, les journaux musclent leur fact-checking et cherchent à collaborer entre eux.

Alors que les « fake news » (ou fausses informations) ont largement perturbé la campagne électorale américaine, Facebook a décidé d’agir en France sans attendre la présidentielle de mai.

Il est ainsi en train de consulter les éditeurs français pour lancer dans les prochaines semaines un plan anti-« fake news » dans l’Hexagone. Ce projet du premier réseau social au monde fait suite à celui qu’il a lancé en Allemagne, avec Correctiv, une « newsroom » de journalistes d’investigation logée dans une structure à but non lucratif financée par des dons. Facebook avait aussi lancé un initiative similaire aux Etats-Unis en fin d’année dernière, en s’appuyant sur des médias et des organisations comparables à Collectiv, comme PolitiFact.

Une mise en garde des lecteurs

Le sujet inquiète en plus haut lieu. Les pouvoirs publics – ministère de l’intérieur, Direction interministérielle du numérique (DINSIC) et l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) – auraient même demandé à rencontrer les représentants des Gafa, rapporte « L’Express ».

Le dispositif proposé par Facebook ? Ses membres qui tomberaient sur une information leur paraissant suspecte pourront désormais la signaler. Les éditeurs ayant signé et adhéré aux principes de la charte Poynter (transparence, honnêteté, neutralité, etc.) ont accès à ces signalements et peuvent alors accoler à l’intox un label mettant en garde le lecteur. Un lien sera aussi ajouté vers un article correctif. Et les sites véhiculant de fausses informations seront moins visibles sur la plate-forme. Dans le même ordre d’idées, Facebook a d’ailleurs annoncé modifié les algorithmes de ses « trending topics » pour qu’ils évitent de mettre en avant des fausses infos.

Bloquer les sites ?

Plusieurs médias restent toutefois encore dubitatifs. « Cela peut aider à repérer de fausses informations, mais il y a surtout, semble-t-il, une volonté de se donner bonne conscience, dit un spécialiste du numérique. Pour que ça marche vraiment, il faudrait que les Gafa bloquent totalement certains sites, ce qui pose plein de questions et va à l’encontre de leur business ». Bloquer les liens que les membres du réseau s’échangent va à l’encontre du modèle économique de Facebook. Autre grief, les médias reprochent à la société de Mark Zuckerberg, qui ne se définit que du bout des lèvres comme un média, de ne pas rémunérer l’effort de fact-checking, et de compter sur les autres pour le faire.

CNN recrute un journaliste, BBC monte une équipe, Le Monde lance Decodex etc.

En attendant que Facebook mette en place son système, les médias musclent leur département de fact-checking (Les décodeurs au « Monde », Desintox à « Libération » ou Le vrai-faux des Echos aux « Echos ») et ils s’emparent de plus en plus du sujet. Même chose à l’étranger. CNN vient de recruter un journaliste écrivant sur les fake news et la BBC a annoncé la création d’un département spécialisé.

De nouvelles initiatives émergent. « Le Monde » va lancer début février Decodex, un outil qui permettra d’indiquer, dans une base de 600 sites, si un site est parodique ou satirique (et donc à prendre au deuxième degré), orienté (Les Décodeurs citent par exemple ivg.net ) ou véhiculant régulièrement de fausses informations.Les internautes auront la possibilité de rentrer des url ou d’installer sur leur navigateur un logiciel pour identifier instantanément les sites ou comptes Twitter problématiques. Le quotidien souligne dans Digiday que Decodex sera apolitique. « Vous pouvez être d’extrême droite pourvu que vous ne manipuliez pas les faits », assure Samuel Laurent, des Décodeurs.

Enfin, certaines rédactions françaises travaillent au sein de First Draft News, une initiative réunissant des médias internationaux et Google rejointe par les réseaux sociaux, dont Facebook. Pour que cette collaboration fonctionne bien, First Draft aurait besoin que le réseau social l’alerte des intox potentielles. Google, de son côté, a intégré aux Etats-Unis un outil signalant les informations vérifiées sur Google News, et commencé à bannir les sites véhiculant des fake news de son réseau publicitaire AdSense. Le temps seul dira si tous ces dispositifs sont efficaces.

Des discussions sans Twitter

Pour Twitter, le problème des « fake news » apparaît moins aigu que pour Google et Facebook. Il n’a d’ailleurs pas été convié par les autorités françaises aux discussions sur le sujet, à la différence de ses deux rivaux américains. Le réseau social estime qu’il est une plate-forme de temps réel, sur laquelle il est possible de combattre la désinformation, en signalant les tweets ou les comptes concernés. En outre, si Google et Facebook basent l’essentiel de leur service sur des algorithmes, Twitter fonctionne davantage de manière chronologique. Il certifie également des comptes officiels, notamment pour les médias reconnus, et multiplie les partenariats avec les rédactions.

Trois exemples d’intox

Obama et le serment d’allégeance au drapeau

Un site de fake news dont l’adresse ressemblait à celle de ABC News a prétendu que Barack Obama avait interdit le serment d’allégeance au drapeau dans les écoles car il était « contraire » aux valeurs américaines. Selon Buzzsumo, un spécialiste de l’« engagement » sur la Toile cité par Buzzfeed, l’info a été partagée et commentée près de 2,2 millions de fois.

Les fausses émeutes de migrants à Dortmund

Le site américain Breitbart News a fait état d’émeutes de migrants à Dortmund, en Allemagne, au nouvel an. Une « meute de plus de 1.000 hommes criait « Allahu Akhbar »‘», disait-il, se référant à un reportage de « Ruhr Nachrichten ». Le reporter de cette publication a répondu qu’il « n’y avait aucun signe suggérant que des terroristes célébraient le nouvel an à Dortmund ».

Une vidéo sur les vaccins inquiète

Mi-décembre, une vidéo diffusée via Pas L’Info (entre autres sur le site du Parti antisioniste) a fait le buzz en indiquant que le ministère de la Santé voulait imposer onze vaccins. Or, comme le soulignent Les Décodeurs, il y a là plusieurs intox : il ne s’agit que d’une proposition et celle-ci viserait onze maladies, pas onze vaccins. En outre, il y aura des exemptions possibles.

Les Echos 26/01/2017