L’État dit adieu à ses bijoux de famille

PATRIMOINE Tandis que l’hôtel de Brienne s’ouvre à la visite, l’État a décidé de se séparer de certains de ses biens d’exception.

Tout est-il vraiment à vendre ? Au milieu de l’îlot Saint-Germain, à Paris, destiné à être vendu par l’État d’ici à 2018, l’hôtel de Brienne fait de la résistance. Siège historique du ministère de la Défense, ce bâtiment régence a vu défiler de grandes figures de l’histoire, à commencer par Napoléon Ier, Clemenceau ou Charles de Gaulle. Quand la décision a été prise de déménager les personnels de la Défense sur le nouveau site de Balard, à des fins d’économies, le ministre Jean-Yves Le Drian a mis son pied dans la porte : pas question de quitter cette adresse dévolue au ministère de la Guerre depuis deux cents ans ! Le Drian, qui a la réputation d’être un grand amateur de patrimoine, va même jusqu’à prendre les Français à témoins sur la nécessité de conserver ce lieu : il vient d’autoriser l’ouverture au public de l’hôtel de Brienne. Les visites se font le samedi sur inscription (pour cause d’état d’urgence) ; seul le grand bureau du ministre demeure porte close. Mais il reste tout de même de quoi meubler une heure et demie de visite, et pas des moins intéressantes.

L’hôtel est, avec celui de Matignon, l’Élysée, l’hôtel de Lassay (Assemblée nationale), celui de Rochechouart (Éducation nationale) ou celui du Châtelet (Travail et Emploi), un de ces bijoux patrimoniaux qu’occupe encore l’État.

Moins connu que les précédents, en dépit de sa participation chaque année aux Journées du patrimoine, il s’étend sur deux étages, avec un classique vestibule et un escalier d’honneur. Il doit son nom au comte de Brienne, qui l’acquit en 1776 et le rénova entièrement. On dit que son frère, archevêque de Toulouse, s’enfuyait par la petite porte du fond du ­jardin de Brienne, dite « porte des Amours ».

En 1801, Lucien Bonaparte, frère de Napoléon, prend possession des lieux, et y déploie sa fabuleuse collection de tableaux. Après son départ, c’est Madame Mère qui reprend la rue Saint-Dominique. Elle y fait faire des travaux, rafraîchit le mobilier et les décors, de manière à pouvoir accueillir dignement son fils Napoléon Ier : les pièces du ministère regorgent encore de fauteuils Empire à bords dorés ou d’abeilles impériales dessinées au plafond. Le style de Madame Mère est à moitié chic à moitié kitsch, comme en témoignent ces assiettes du service rouge, utilisé pour les déjeuners avec l’Empereur.

Au détour des salons se trouve aussi le bureau de Georges Clemenceau, depuis lequel il fut acclamé le jour de l’armistice, en 1918, et qui constitue un autre clou de la visite. Reconstitué en 2014, il se compose d’un grand bureau, de son buste créé par Rodin, d’un siège offert par les Français au Tigre, et du fameux bureau de Daru. Vaste, ce dernier servait à consulter les cartes d’état-major ; il a également suivi Napoléon dans ses campagnes.

Prestigieuses adresses parisiennes

Plus loin vient l’antre de Charles de Gaulle, d’abord brièvement occupé en 1940, puis investi à partir de 1944. « La France a failli tomber, mais les choses demeurent immuables », écrira le Général dans ses Mémoires de guerre, faisant référence à l’hôtel de Brienne. Aujourd’hui, dans le salon des Diplomates, le ministre de la Défense reçoit encore ses hôtes étrangers sur des fauteuils Empire. Mais c’est derrière le bureau du général de Gaulle que le général Sissi, en 2014, voulut poser pour la postérité. Tout comme l’hôtel du Châtelet, où se signèrent les accords de Mai 68, ou celui Rochechouart, qui conserve pieusement le bureau de Jules Ferry, les murs de Brienne sont porteurs d’une part d’histoire.

Si le siège de la Défense demeure dans le giron de l’État, d’autres n’ont pas eu – ou n’auront pas – cette possibilité. Depuis dix ans, l’État mène en effet une politique de cession de ses prestigieuses adresses parisiennes. Dans certains de ces anciens hôtels particuliers, comme à l’hôtel XVIIe de Mailly-Nesle, siège de la Documentation française (cession prévue en 2018), les bureaux modernes règnent déjà en maître. D’autres ont conservé plus de cachet, comme l’hôtel de Vogüé, rue de Martignac, où siège le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (libre fin 2017) ou le 113, rue de Grenelle (libre fin d’année 2017). « Les ventes de biens inscrits sont très rares. Nous signons parfois des baux emphytéotiques, de très longue durée, souvent en vue d’une rénovation, tout en restant propriétaires du bien. Nous ne bradons pas ces bijoux de famille, comme on a pu le lire ici ou là », affirme-t-on à Bercy.

Par ailleurs, on dit l’État mauvais vendeur, ce qui fait la joie des investisseurs. « La valeur peut fluctuer en fonction de sa destination finale. Il ne sera pas estimé de la même manière si c’est une collectivité qui achète pour en faire du logement social ou si c’est un opérateur privé qui voudrait en faire un hôtel de luxe », poursuit-on à l’Économie et aux Finances.

L’hôtel Seignelay, dont les travaux préparatoires à la cession ont déjà été lancés, reste à cet égard un mystère. En 2007-2008, la Direction immobilière de l’État avait déjà mis sur le marché ce charmant hôtel de la rue de Lille, construit vers 1713 par l’architecte Germain Boffrand. Mais l’adresse n’a pas trouvé preneur, même pour une location. Il serait de fait la propriété de l’Allemagne depuis la fin des années 1930. Réquisitionné par la France après guerre, il ferait l’objet d’un litige entre les deux pays. Aujourd’hui, le ministère de la Fonction publique y a néanmoins ses quartiers. On y déjeune toujours dans des décors Louis XV avec vue sur le petit jardin où, selon la légende, repose Coco, le dernier chien de Marie-Antoinette…

Hôtel de Brienne, 14, rue Saint-Dominique (Paris VIIe). Visite deux samedis par mois. Rés. obligatoire au 01 44 54 19 30. À lire : « L’Hôtel de Brienne », sous la direction de Nicolas Chaudun (éd. L’Esplanade)

 

Le Figaro 31/01/2017