Catastrophes : comment les villes se préparent au pire

PROSPECTIVE. Le programme « 100 Resilient Cities » veut donner aux grandes métropoles les moyens d’anticiper un choc majeur, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, de pollution ou de terrorisme.

Rotterdam ne craint plus les violents orages d’été. Après quarante ans de travaux titanesques pour ceinturer les estuaires qui avaient ravagé la ville après la guerre, le coeur industriel des Pays-Bas achève la construction en centre-ville d’un réseau de « water squares » destinés à absorber le trop-plein de précipitations. Rien, extérieurement, ne transparaît de leur fonction. Installés au pied des immeubles, ces lieux au design soigné sont d’abord des espaces publics. Mais ils sont dessinés en creux et leur utilité technique se révèle en cas de pluie. Le square de Benthemplein, qui a inauguré la série en 2013, dévoile alors trois réservoirs tampons où convergent des canaux descendant des toits voisins. Ils ­peuvent stocker l’équivalent d’une piscine Olympique (1,7 million de litres), le temps que le débit baisse dans les égouts. « L’intérêt de ce réseau est son caractère multifonctionnel, explique Arnoud Molenaar, responsable de la résilience à la mairie de Rotterdam. La plupart du temps, c’est un espace de jeu et de rencontre qui participe à la cohésion sociale du quartier. Et quand le temps tourne, le site est un slogan pédagogique qui rappelle aux habitants que se protéger des catastrophes est l’affaire de tous. »

Rotterdam est l’une des villes retenues par la Fondation Rockefeller pour faire ­partie de son programme « 100 Resilient Cities » , destiné à pousser plus loin leur ­stratégie de développement durable. « Nous ­faisons du « darwinisme urbain », résume son président, Michael Berkowitz. Nous aidons les villes à travailler sur leur capacité à ployer sans rompre devant les pires agressions. » Un budget de 100 millions de dollars est consa­cré à cette initiative destinée à dresser le catalogue mondial des bonnes pratiques urbaines, « socialement responsables et respectueuses de l’environnement ». Quarante-sept pays sont impliqués. « Il ne s’agit pas seulement de développer leur capacité à rebondir après des catastrophes imprévisibles comme des incendies, des tremblements de terres ou des inondations, poursuit Michael Berkowitz. Nous nous concentrons surtout sur le long terme et les catastrophes à combustion lente qui affaiblissent une ville au fil du temps : la pauvreté, la violence endémique, le manque de transports collectifs… »

Elargir la vision politique de la ville

Démarré il y a trois ans, le programme commence à porter ses fruits. Vingt villes parmi les cent ont bouclé le document stratégique qui décrit leur plan d’action pour la décennie à venir. Celui de Rotterdam détaille par exemple 68 initiatives (sur le climat, l’énergie, le numérique et la gouvernance) pour devenir une ville résiliente d’ici à 2025. On y trouve les « water squares », des projets de fermes urbaines sur les toits des immeubles, le développement de réseaux numériques robustes pour contrôler sans faille l’énergie nécessaire au pompage de l’eau, la création d’une compagnie citoyenne de production d’énergie verte ou celle d’une fondation pour venir en aide aux personnes les plus vulnérables. « C’est un mouvement de grande ampleur qui touche tous les segments de notre organisation, y compris sociaux, décrit Arnoud Molenaar. Si on veut une ville résiliente, il y faut des citoyens résilients. »

C’est aussi l’avis de Sébastien Maire, nommé haut responsable de la résilience à Paris après l’entrée de la capitale dans le réseau des « 100 » en 2015. « Passé le temps des remparts, on a eu tendance à oublier qu’une ville est un territoire à défendre et qu’elle a vocation à protéger ses populations et ses activités dans toutes les situations. Les attentats nous ont rappelés à cette réalité et à la nécessité de l’esprit de corps pour y faire face », explique-t-il. En choisissant la maille urbaine, jugée plus apte mais aussi plus singulière que celle des Etats pour anticiper les changements, « 100 Resilient Cities » a aussi élargi la vision politique de la ville. A Paris, une vingtaine de délibérations touchant à la résilience ont déjà été votées à l’unanimité par le conseil municipal. L’un des principaux sujets sur la table est la préparation à la crue centennale . « L’approche résiliente analyse globalement le sujet en tenant compte de paramètres sociaux, environnementaux et sanitaires », illustre Sébastien Maire. L’anticipation de la catastrophe permet de coordonner les urgences, de ­construire des infrastructures, mais aussi de créer des espaces de biodiversité servant à la fois de bassins de rétention, de lieux de promenade et de filtres naturels pour les eaux de la Seine.

En chiffres

1 million.Le nombre de ville dans le monde. Les 600 les plus peuplées hébergent un cinquième de la population mondiale. 4.230 comptent plus de 100.000 habitants (source : ONU).

36. Le nombre de mégalopoles dont la population est supérieure à 10 millions d’habitants. Elles regroupent 12 % des urbains. La plus grande est Tokyo (38 millions d’habitants), suivie de Jakarta (31), Delhi (25) et Shanghai (35). Paris est 30e (source : ONU).

616. Le nombre de zones urbaines très vulnérables aux catastrophes naturelles dans le monde, selon Swiss Re. Au total, 660 millions de terriens, 10 % de la population mondiale, sont exposés à de graves menaces.

1.262 milliards de dollars. La somme des dommages causés en une décennie (2001-2011) par près de 8.500 catastrophes naturelles dans le monde, selon Munich Re.

L’organisation de la cohésion sociale devrait aussi impliquer plus largement et plus efficacement les habitants dans la gestion de la crise. A Wellington (Nouvelle-Zélande), des groupes volontaires d’habitants formés aux premiers secours sont identifiés par le public comme les premiers relais en cas de catastrophe.

L’expertise de Veolia

Les 100 villes n’agissent pas seules. Le programme organise régulièrement des ateliers pour mettre leurs expériences en commun et inviter les industriels à participer à leurs ateliers. Le français Veolia fait partie des habitués. « La résilience est au coeur de nos nouveaux marchés », confirme Laurent Auguste, directeur de l’innovation du groupe. Il vient même de s’associer au réassureur Swiss Re pour croiser son expertise des risques à l’attention de villes comme La Nouvelle-Orléans. A la clef, des recommandations sur les travaux à mener pour réduire les points de vulnérabilité les plus critiques, mais aussi des propositions d’assistance opérationnelle.

Dans un rapport référençant une soixantaine d’actions préventives, Veolia préconise par exemple le remplacement de certaines pièces critiques sur des installations de pompage, la maintenance régulière des infrastructures de première ligne ou l’implémentation d’un procédé de pilotage intelligent des systèmes de captage. « Travailler sur la résilience n’est pas un poste de coût mais une source d’économie », insiste Laurent Auguste. En traquant les points de vulnérabilité de son réseau d’exploitation et d’assainissement pour sécuriser ses installations dans l’hypothèse d’un débordement de l’Hudson en cas d’ouragan dévastateur, la ville de New York a ainsi réduit ses dépenses de 100 millions de dollars par an.

Les Echos 31/01/2017