Changer l’euro pour le sauver

Patrick Artus et Marie-Paule Virard, les auteurs de « Euro, par ici la sortie? » posent dans leur livre un diagnostic implacable sur les dysfonctionnements de l’union monétaire.

Triste anniversaire. Alors que cette année, l’euro fête les quinze ans de son introduction, pas un économiste n’a sorti les cotillons et les bougies. Pire : il y a consensus pour dire que la monnaie unique va mal. Même les experts qui, en 2002, applaudissaient son arrivée pointent désormais du doigt ses failles. Désormais, beaucoup s’interrogent sur sa survie.

Patrick Artus, chef économiste de Natixis et professeur à Paris-I-Panthéon-Sorbonne, est de ceux-là. Dès l’introduction de cet ouvrage cosigné avec la journaliste économique Marie-Paule Virard, il pose une question : la création de l’euro est-elle « une tragique erreur » ? De fait, soulignent les auteurs, au regard du dumping social à l’œuvre au sein même de la zone euro, « des dégâts provoqués par la monnaie unique sur le niveau de vie des classes moyennes dans les pays du Sud » et de la montée du chômage observée pendant la crise, « il est difficilede ne pas s’étonner que ces ratés soient récupérés par les eurosceptiques ». Où sont donc passées la prospérité et la convergence promises par les pères de l’euro ?

Les auteurs tentent de l’expliquer. Leur argumentaire a la vertu de la pédagogie. Ils posent un diagnostic implacable sur les dysfonctionnements de l’union monétaire. D’abord, la Commission européenne, coupée des préoccupations des citoyens, produit bien trop de textes sur tout et n’importe quoi, sans s’attaquer suffisamment aux vrais problèmes. Comme, par exemple, la concurrence fiscale déloyale à laquelle les pays membres se livrent, en multipliant les niches et aménagements discutables sur leurs impôts sur les sociétés.

Divergences

Ensuite, les dirigeants européens ont oublié quelques règles économiques élémentaires au moment de la création de l’euro. A savoir que le partage d’une même monnaie entre pays accentue mécaniquement les spécialisations productives de chacun, puisqu’il n’y a plus de barrière de change. Les régions dont l’industrie est la plus compétitive (Allemagne) attirent encore plus d’usines. Celles plus douées pour les services (Espagne, France) développent plus de services. Et les nations le plus richement dotées en patrimoine culturel ou en jolies plages (Italie, Grèce) séduisent plus de touristes. Résultat : « au lieu de rapprocher les économies, l’euro a accru les divergences au sein de la zone », explique l’ouvrage.

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Les règles budgétaires comme celles du traité de Maastricht, qui imposent la limite de 60 % du produit intérieur brut (PIB) pour les dettes publiques, et de 3 % du PIB pour les déficits publics, n’ont pas empêché ces divergences. Ni la politique de la Banque centrale européenne (BCE), longtemps trop prudente, aujourd’hui tournée vers la relance monétaire. Pire, la crise de 2008 a accentué encore les écarts entre le nord et le sud de la zone euro, où les dettes publiques et les inégalités ont explosé. La France, elle, se trouve dans une position intermédiaire.

Tout cela ne serait pas grave s’il y avait une forme de redistribution entre les pays, estiment M. Artus et Mme Virard. Après tout, aux Etats-Unis, les impôts des New-Yorkais et des Californiens contribuent à tirer vers le haut le niveau de vie des habitants de Louisiane et du Mississippi. Cela s’appelle le fédéralisme. « Mais la seule évocation d’un tel transfert fait l’effet d’un chiffon rouge agité devant les yeux de l’opinion publique allemande, qui voit volontiers dans toute “union de transferts” une sorte de créature du diable », expliquent-ils. Avant d’ajouter que sans cela, la zone euro aura pourtant du mal à survivre. Car les écarts continueront de se creuser, jusqu’à devenir insupportables pour les populations.

Une impasse terrible

Dès lors, pourquoi ne pas abandonner l’euro tout de suite ? Eh bien, parce qu’on ne peut pas, assurent les auteurs. Ou plutôt : impossible de le faire sans ruiner les ménages des pays concernés. Si la France quittait l’euro, par exemple, le franc se déprécierait. « Et comme sa dette extérieure brute est libellée en euros, la hausse de sa valeur en monnaie nationale ruinerait le pays ou contraindrait les emprunteurs du pays à faire défaut. » Sans parler de l’explosion des taux d’intérêt.

Dit autrement : conserver l’euro tel qu’il existe est douloureux, mais le quitter le serait plus encore. L’impasse est terrible. Comment en sortir ? « En refondant l’Europe », assure l’ouvrage. En coordonnant mieux les politiques économiques et en les réorientant vers l’investissement dans l’innovation plutôt que la rigueur. En introduisant peu à peu une forme de budget commun intelligent, en dépit des réticences allemandes. Par exemple, en créant un fonds européen auquel chaque pays contribuerait, et qui viendrait en aide à ceux en difficulté pendant les crises en fonction de règles précises, comme le niveau de chômage structurel. Mais il convient également de cesser de prétendre que le couple franco-allemand existe encore, et de faire participer enfin l’Italie et l’Espagne au débat. Plus facile à dire qu’à faire, lorsque l’on songe au degré de défiance régnant aujourd’hui entre les capitales…

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A l’heure où les candidats à la présidentielle française peaufinent leurs positions sur le sujet, cet essai rappelle à quel point le débat sur l’euro est complexe. Et que le malaise qui l’entoure ne pourra pas être réglé par les solutions simplistes et séduisantes proposées par les eurosceptiques. Sauver l’euro, disent en somme les auteurs, exigera de la sueur, une détermination doublée d’un courage politique infaillible, un long travail avec nos partenaires et des efforts institutionnels cyclopéens. Mais on n’a pas vraiment le choix…

Euro, par ici la sortie ?, de Patrick Artus et Marie-Paule Virard (Fayard, 176 pages, 15 euros).

Le Monde 06/02/2017