Startups : la « vallée de la mort » est toujours là

Malgré le renforcement de l’écosystème de financement des startups, la fameuse « vallée de la mort », cette période délicate où les jeunes pousses entre 1 et 3 ans meurent par manque d’accès au financement, n’a pas disparu en France, comme le souligne une étude d’In Extenso.

« Quand j’ai pris mes fonctions, en 2014, on ne cessait de parler de la fameuse vallée de la mort, c’est-à-dire le moment où les jeunes startups, après s’être lancées, n’arrivaient pas à trouver des fonds pour se développer, ce qui poussait les entrepreneurs à quitter la France. Aujourd’hui, ce n’est plus un problème », revendiquait Axelle Lemaire en janvier dernier dans nos colonnes.

La secrétaire d’État au Numérique et à l’Innovation (qui a quitté le gouvernement lundi 26 février) a peut-être parlé un peu vite. Car même si la French Tech a redonné à nombreux entrepreneurs la fierté d’innover en France, même si l’écosystème de financement, grâce à l’effet catalyseur de Bpifrance, s’est considérablement étoffé, et même si la France a dépassé l’Allemagne et talonne le Royaume-Uni en capitaux levés, la vallée de la mort, elle, n’a pas disparu.

Manque de financement disponible entre 1 et 3 ans

C’est le principal enseignement d’une étude d’In Extenso Innovation Croissance, une entité du groupe Deloitte. Dans un rapport de 60 pages publié fin janvier, le cabinet d’audit dissèque toutes les levées de fonds de 2016 : 566 opérations, représentant 2,8 milliards d’euros.

Verdict : il est toujours difficile pour les startups entre un et trois ans, voire cinq ans, de traverser le passage délicat où elles ne dégagent toujours pas de bénéfice alors qu’elles ont besoin de cash supplémentaire pour financer leur croissance, dénicher de nouveaux marchés (notamment à l’international) et se faire connaître du public. Selon Patricia Braun, présidence associée d’In Extenso, ces entreprises peinent toujours à accéder au « carburant » dont elles auraient besoin:

« À leur création, les startups connaissent une première année florissante, épaulées par un système français solide favorisant le financement des jeunes entrepreneurs. Mais dès le début de leur deuxième année et jusqu’à leur troisième anniversaire environ, ces jeunes pousses font face à de sérieuses carences en terme de financement disponible ».

Ainsi, après la phase de création (moins d’un an) vient la phase d’amorçage, qui correspond à la période entre le premier et le troisième anniversaire. Pour cette période, In Extenso a dénombré 292 levées en 2016, soit 51% du total, représentant 746 millions d’euros. Mais si le volume est impressionnant, le montant du ticket moyen est faible : 2,68 millions d’euros. De leur côté, les entreprises de plus de trois ans, elles, ont été moins nombreuses à lever des fonds (237). Mais le ticket moyen est beaucoup plus élevé, à 8,8 millions d’euros, pour un total de 1,95 milliard d’euros.

La mortalité des startups culmine autour du deuxième anniversaire

Pour Patricia Braun, cette différence de valeur souligne la frilosité toujours forte des acteurs de l’investissement lors de la phase critique, c’est-à-dire au moment où les entrepreneurs arrivent au bout de leurs fonds propres, alors même que la création de valeurs de leur startup est toujours faible. « Les investisseurs manquent toujours de patience », poursuit Patrica Braun.

Moins d’accès au financement, épuisement des fonds propres, aversion au risque de la part du secteur privé : logiquement, la mortalité des startups culmine autour du deuxième anniversaire, comme le soulignait déjà en 2015 un rapport du cabinet d’études Raise et Bain & Company. « Si elles ne sont pas dotées d’un capital solide à la création, on constate de nombreux abandons sur cette période », confirme In Extenso.

Les fonds étrangers et le corporate venture à la rescousse ?

Pour In Extenso, les entrepreneurs doivent anticiper ces difficultés et mieux préparer leur plan de développement. Le risque de succomber dans la vallée de la mort est d’autant plus important pour les startups qui évoluent dans des domaines où la phase de R&D est très longue, comme dans les biotech, où qui s’adressent à un marché BtoC, où la rentabilité est difficile à atteindre.

S’il est difficile d’imputer la mortalité des startups uniquement à un problème de financement (après tout, neuf sur dix finissent par mettre la clé sous la porte) et qu’il se produit aussi un phénomène de « sélection naturelle », de nombreux spécialistes déplorent toujours le manque d’acteurs capables de financer des tours de table supérieurs à 20 millions d’euros, qui restent rares en France.

Mais l’intérêt croissant des fonds européens et internationaux pour l’Hexagone offre une bouffée d’air frais : le nombre de levées de fonds impliquant des fonds étrangers a plus que doublé sur les cinq dernières années. Le développement spectaculaire du « corporate venture », c’est-à-dire le financement par les grands groupes comme Axa, Orange, La Poste, la Maif ou encore Safran, offre aussi une nouvelle perspective aux entrepreneurs en quête de financement.

La Tribune 28/02/2017