Démocratie, mieux associer les citoyens

2017-2022 LES NOUVEAUX DÉFIS (1/8). La campagne pour l’élection présidentielle montre une forte aspiration des Français à un renouveau démocratique. Mais les moyens de renouer le lien entre les dirigeants et les citoyens font toujours débat.

Le constat n’est plus à faire. La défiance qui s’est installée depuis longtemps déjà entre les Français et leurs dirigeants politiques a, semble-t-il, atteint son paroxysme. Elle s’est traduite au cours de ces vingt dernières années par la montée de l’abstention et du vote Front national. Mais aussi, plus récemment, par le développement d’un esprit de contestation des décisions qui ne manque pas d’inquiéter les observateurs.

L’impasse de Notre-Dame-des-Landes

« Il est vrai que la contestation du fait majoritaire s’est développée, constate le constitutionnaliste Didier Maus. Les minoritaires n’acceptent plus de l’être. L’exemple de Notre-Dame-des-Landes est éloquent. Le processus a respecté toutes les règles de droit, la justice a tranché, un référendum s’est prononcé en faveur du projet, et pourtant, on est dans une impasse. Une démocratie ne peut accepter qu’une décision soit remise en cause par une minorité. »

Retrouvez notre dossier élection présidentielle 2017

Ce « malaise démocratique », qui passe par la contestation de notre système représentatif, se retrouve dans les enquêtes d’opinion. Dans le dernier baromètre de la confiance publié par le Centre de recherches de Sciences-Po (Cevipof) en janvier, 70 % des Français estiment que la démocratie ne fonctionne pas très bien dans notre pays – en hausse de 3 points en un an – et 89 % considèrent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de leur avis.

Un « autisme politique » constaté par Dominique Rousseau dès 2015 dans son livre Radicaliser la démocratie (Seuil). C’est comme si on avait, expliquait-il alors, des institutions et une société qui fonctionnaient chacune sur elles-mêmes sans se préoccuper de l’autre, créant une situation qui peut à tout moment exploser.

De plus en plus de « Praf »

Une thèse également développée dans un livre qui vient de paraître (1), écrit par le directeur général délégué d’Ipsos, Brice Teinturier. Pour lui, le danger vient de cette partie de plus en plus importante de la population qu’il baptise le « Praf », pour « plus rien à faire ». Ceux qui sont dégoûtés voire indifférents à la politique et que le sondeur évalue à un tiers de la population.

À lire : Comment réinventer la démocratie ?

Nourri par l’échec des deux quinquennats de Nicolas Sarkozy et François Hollande, ce détachement peut se transformer en dégoût et générer selon lui « une volonté de rupture ».

Face à cette menace, les responsables politiques semblent impuissants à retrouver une légitimité. Les primaires, censées ouvrir aux citoyens le choix des candidats à l’élection présidentielle et redorer le bilan des partis, ont essentiellement mobilisé un électorat âgé et aisé qui n’est pas celui qui conteste le système.

Comment retisser le lien ?

Comment alors remettre de l’huile dans les rouages et retisser le lien entre les citoyens et leurs dirigeants ? Quelques pistes ont été tracées au cours de la campagne, comme la moralisation de la vie politique, la limitation drastique du cumul des mandats, le retour à un septennat non renouvelable ou encore l’introduction de la proportionnelle à l’Assemblée nationale, que défendent Benoît Hamon ou Emmanuel Macron.

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Ces réformes ont l’avantage pour leurs partisans de ne pas toucher aux institutions de la Ve République. « Pour que des institutions fonctionnent, la règle de la représentativité ne doit pas non plus primer sur celle de l’efficacité gouvernementale et de la capacité à dégager des majorités », rappelle prudemment Pascal Jan, professeur de droit public à Sciences-Po Bordeaux.

Mais il s’agit de « rustines » pour ceux qui défendent la mise en place de nouveaux outils de délibération et de participation des citoyens à la vie politique. Ainsi de Dominique Rousseau, qui défend une « démocratie continue ».

Une assemblée tirée au sort

Celle-ci doit permettre aux citoyens de ne plus se contenter de déléguer leur pouvoir mais de « participer à l’élaboration du bien commun et d’avoir une visibilité institutionnelle ». Il propose pour cela la création d’une seconde assemblée tirée au sort, à côté de l’Assemblée nationale, ayant un pouvoir délibératif et appelée à construire des compromis.

« Compte tenu des enjeux, il ne saurait s’agir de bricoler ici et là notre système », approuve de son côté Romain Slitine, membre du collectif Démocratie ouverte, qui vient de publier Le Coup d’État citoyen (La Découverte). Il appelle à sortir du seul « cadre logique » du système représentatif électif et à s’inspirer des méthodes « collaboratives », facilitées par les nouvelles technologies, « qui bouleversent déjà des pans entiers de la société et de l’économie ».

Une forme de démocratie numérique qui a vu fleurir les initiatives au cours de ces dernières années et correspond davantage à l’individualisation de la société, mais aussi à l’aspiration à l’autonomie des citoyens.

Rompre avec le modèle jacobin

Ces instruments exigent toutefois de repenser complètement nos institutions, comme le défendent les signataires du manifeste pour une transition constitutionnelle. Car le risque est que seule une minorité participe activement.

« La crise est à mon avis moins une crise de la représentation que de l’efficacité de l’État », estime de son côté Pascal Jan, qui défend une république décentralisée, en rupture avec le modèle jacobin hérité de la Révolution. «Nous sommes dans un pays trop centralisé, il faut déléguer davantage au niveau local où les élus sont plus proches des citoyens », explique-t-il. Tous regrettent en tout cas que le débat ne soit pas plus présent dans la campagne. « En fait, je ne suis pas sûr que les outils pour répondre à ces difficultés existent », confesse Didier Maus.

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Un forum citoyen pour dessiner la future Constitution

Pour Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques et spécialiste de
la démocratie participative, « le moment est venu d’une transition constitutionnelle
qui nous permette ensemble, citoyens et élus, de redéfinir les règles du jeu. À l’initiative de la Fondation Nicolas Hulot, nous avons imaginé un processus en plusieurs étapes : d’abord, l’organisation de discussions citoyennes et la collecte de ces propositions ; ensuite, la tenue d’un forum citoyen chargé de dessiner les grandes lignes de
la future Constitution ; enfin, l’élaboration du texte par une assemblée constitutionnelle constituée pour trois quarts de citoyens tirés au sort et pour un quart d’élus. »

Céline Rouden et Béatrice Bouniol

(1) Plus rien à faire, plus rien à foutre. La vraie crise de la démocratie, Éd. Robert Laffont, 198 p., 18 €.

 

La Croix 01/03/2017