Les « fake news » sur les réseaux sociaux, menace pour l’information ?

Entre mercantilisme et manipulation de l’opinion, la propagation de fausses nouvelles a joué un rôle dans l’élection américaine. Retour sur un phénomène qui menace la France.

 

MÉDIAS C’est une expression qui s’est imposée pendant la campagne présidentielle américaine, c’est une invective échangée quotidiennement entre Donald Trump et la presse américaine, c’est, enfin, un phénomène qui en dit long sur l’état de la société actuelle de l’information. « Fake news ». Le terme est lâché. Mais que recouvre-t-il exactement ?

Un phénomène mercantile et politique

Cette expression d’origine anglo-saxonne est à double sens. Elle désigne d’abord un phénomène nouveau. Durant la campagne présidentielle américaine sont apparus une nuée de faux sites d’information, dont le seul but était d’appâter des visiteurs depuis les réseaux sociaux grâce à des nouvelles spectaculaires, fabriquées de toutes pièces. Reprenant l’apparence de médias traditionnels, ils ont inventé une histoire de votes frauduleux en faveur de Hillary Clinton dans l’Ohio, un soutien du pape François apporté à Donald Trump et des milliers d’autres actualités aberrantes. Ces articles, une fois postés sur Facebook, se sont propagés comme une traînée de poudre parmi les plus fervents soutiens du candidat républicain, qui les ont abondamment partagés, par crédulité ou par calcul politique. Surclassant parfois les informations authentiques.

Selon plusieurs enquêtes, les créateurs de ces sites de « fake news » étaient rarement mus par des intérêts partisans, mais plutôt par une logique mercantile. Souvent jeunes, maîtrisant les codes de la communication sur Internet, ils ont détourné à leur profit le modèle de l’information gratuite financée par la publicité, sur lequel se reposent les médias traditionnels. Leurs pages étaient surchargées de publicités et donc de sources de revenus potentielles. Le système publicitaire sur le Web est ainsi fait que les marques ne savent généralement pas où leurs annonces apparaîtront. Elles ciblent plutôt des catégories d’internautes, peu importe la crédibilité des sites qu’ils visitent. Cameron Harris, 23 ans, a raconté au New York Times qu’il pouvait gagner 1 000 dollars de l’heure en publicité Google grâce à des articles bidons publiés sur le Christian Times Newspaper. La ville de Veles, au centre de la Macédoine, a même érigé cette pratique en industrie. Plus d’une centaine de sites fallacieux y étaient implantés. L’un des animateurs pro-Trump, rencontré par le magazine Wired, a avoué avoir gagné 16 000 dollars en six mois. À 18 ans seulement.

L’histoire des « fake news  » ne s’arrête pas à la mise au jour de ces usines de fausses infos. L’expression recouvre aussi des réalités plus anciennes, que la langue française sait bien nommer. Celles de la propagande et de la désinformation politiques, qui n’ont pas attendu le Web pour se développer. Dans la bataille des idées, fabriquer ou propager des informations mensongères peut aider à discréditer un opposant. Le pouvoir russe a été accusé de chercher à manipuler l’opinion américaine, en nourrisant le flux des fausses informations. Cette frénésie a également été alimentée par la relation houleuse que Donald Trump et sa garde rapprochée entretiennent avec les faits. Lorsque des photos montrent une foule plus clairsemée le 13 janvier, durant la cérémonie d’inauguration, son conseiller presse Sean Spicer évoque au contraire le plus large attroupement jamais enregistré pour un tel événement, « point final ». Cette ligne de défense, reprise par des sites soutenant le président américain comme Breitbart News, constitue un « fait alternatif », expliquera ensuite la conseillère Kellyanne Conway. Dans un habile retournement, Donald Trump a repris ensuite le terme à son compte pour accuser des médias trop hostiles de propager eux-mêmes des « fake news  », et les qualifier d’« ennemis du peuple ». Achevant de placer cette expression au cœur du débat public.

Une frontière floue entre information et divertissement

L’engouement pour les « fake news » n’a pas surgi ex nihilo. Il est en gestation depuis plusieurs années. S’il s’épanouit pleinement aujourd’hui, c’est qu’il a bénéficié d’un terreau favorable : notre société du divertissement. Rien, ou presque, n’y échappe désormais. Pas même un domaine réputé sérieux comme l’information. À l’ère de l’hyper-choix, du multi-écran et des réseaux sociaux, les informations se sont adaptées. Reléguées au rang de simples contenus parmi d’autres, elles ont fini par céder aux sirènes de l’entertainment, puissant levier pour capter l’attention d’un consommateur sursollicité. Cette mutation de l’information a donné naissance à un nouveau standard : l’infotainment, mélange d’humour, d’information et de divertissement. Désormais incontournable dans le paysage médiatique, le genre a fait éclore à la télévision une multitude d’émissions. Internet n’est pas en reste, avec la multiplication des sites parodiques, tels The Onion outre-Atlantique ou sa version française Le Gorafi.

Si le « lol journalisme » constitue, au regard des audiences, une arme de séduction massive, il a un revers. Les liaisons dangereuses entre information et divertissement ont abouti à instaurer une porosité inédite et de plus en plus complexe à appréhender. À force de « mentir vrai », de combiner discours sérieux et loufoquerie, d’entretenir savamment la confusion des genres, les cartes se sont définitivement brouillées. Entre l’info et l’« infaux », difficile de trancher. Même les médias les plus sérieux glissent régulièrement sur ces peaux de banane à l’ère de la « post-vérité ». Mi-février, Le Gorafi publiait un article titré : « Marine Le Pen propose d’entourer la France d’un mur payé par l’Algérie . » Le quotidien algérien El Hayat a repris cette intox en une de son journal… Et le flou n’est pas près d’être dissipé. La réalité est devenue à certains égards plus improbable que la meilleure des fictions. Sur les réseaux sociaux, l’émergence du hastag #pasgorafi en est la preuve tangible.

L’engagement plutôt que les faits

La presse américaine nourrie à la religion des faits, championne du « fact checking », a mal appréhendé une évolution majeure. Aux États-Unis, comme en France d’ailleurs, Facebook et Twitter sont devenus les canaux d’information principaux des jeunes millennials. Or, ces réseaux sociaux ne sont pas des médias et leur moteur n’est pas « les faits, rien que les faits », mais « l’engagement, rien que l’engagement ». Ce glissement sémantique a une conséquence majeure. Les algorithmes privilégient les contenus les plus aimés, commentés et partagés. Qu’ils soient vrais ou faux, peu importe. Un graphique publié par le site BuzzFeed a stupéfié le monde des médias. Six mois avant l’élection de Trump, le flux d’informations classiques sur les élections échangées sur Facebook surpassait encore très largement celui des « fake news » concernant ce scrutin. Mais, quelques semaines avant le 8 novembre, la courbe s’est dramatiquement inversée. Des fausses informations ont été échangées près de 8,7 millions de fois, noyant littéralement les informations classiques, dont le volume d’échange est tombé à 7,3 millions. D’où la polémique née juste après l’élection de Donald Trump sur la responsabilité de Facebook dans la propagation des « fake news », et dans la victoire du candidat républicain.

La presse contre-attaque

Mis à l’index, les réseaux sociaux ont décidé de balayer devant leur porte en empêchant les sites les plus mensongers de percevoir des rémunérations publicitaires. Mais pas question de faire eux-mêmes le tri entre le vrai et le faux. « Facebook ne veut pas être l’arbitre de la vérité », argue la numéro deux du réseau social, Sheryl Sandberg. Faire ce travail reviendrait à devenir un média, ce que ces plateformes refusent. Facebook et Google font donc appel aux médias établis pour vérifier les articles suspicieux signalés par les internautes et leur opposer ou non le label « information contestée ». Cette proposition de partenariat fait débat. Elle revient à travailler gratuitement pour ces plateformes et à redorer leur blason. Difficile également d’allouer des bataillons de vérificateurs alors que les effectifs des rédactions ont fondu en vingt-cinq ans. Il n’y a plus que 183 000 journalistes de presse écrite aux États-Unis, contre 455 000 en 1990…

Essorée, la presse doit aussi faire face à la défiance de l’opinion. Seuls 44 % des Français ont confiance dans la presse écrite, le plus bas taux jamais mesuré par le Baromètre de La Croix. Les autres médias ne sont pas épargnés.

Pourtant, la presse pourrait sortir renforcée de la vague des « fake news ». Depuis l’élection de Donald Trump, le New York Times a gagné 200 000 abonnés numériques. Le Washington Post est aussi en forte croissance avec un bond de 75 % des souscriptions en 2016. Face à l’avalanche de désinformation venue du plus haut niveau, des Américains ont montré leur soif de vérité. Le Washington Post a changé son slogan de une, devenu « Democracy dies in darkness » (la démocratie meurt dans l’obscurité). Les deux titres multiplient également les publicités sur les réseaux sociaux pour inciter à l’abonnement avec des slogans évocateurs, comme « no alternative, just facts » (pas d’alternative, que des faits). Avec le risque de créer une information à deux vitesses, l’une gratuite mais incertaine, l’autre sûre et réservée à ceux qui sont prêts à la payer.

Le Figaro 07/03/2017