«Je rêvais d’avoir 18 ans pour pouvoir voter, et maintenant que c’est le cas…»

Dix-huit jeunes qui votent pour la première fois débattent de la campagne, via un groupe Facebook créé par «Libération». Entre enthousiasme, curiosité et écœurement.

Libération a choisi d’écouter, sur la durée, celles et ceux qui vont voter pour la première fois en France à la présidentielle. Depuis cinq semaines, 18 jeunes volontaires débattent de la politique dans un groupe Facebook créé par la rédaction. Parfois à notre initiative, parfois à la leur, nous y parlons de ce qu’ils attendent de leur premier grand rendez-vous politique. Lycéens, étudiants, parfois militants, leurs opinions, encore mouvantes, vont de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par toutes les couleurs du spectre (1).

Fillon à 8 %. Ces derniers jours, l’ambiance est morose dans le groupe. Ce mercredi, les jeunes prennent connaissance d’une étude du Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof) : parmi les nouveaux électeurs certains d’aller voter pour un candidat, 29 % pourraient choisir Marine Le Pen. La candidate du Front national devance de quelques points Macron. Derrière, Mélenchon, Hamon, et Fillon – qui plafonne, lui, à 8 % dans cet électorat. Martin L. est le premier à commenter l’étude. «Ça m’horripile ce genre de sondages qui favorisent le conflit de générations et le conflit intragénérationnel», s’agace l’étudiant en médecine breton. Lui qui voulait voter pour Yannick Jadot (EE-LV) s’est replié sur Mélenchon. «C’est bien connu, les jeunes préfèrent Le Pen, ironise-t-il, mais franchement, allez à la sortie des lycées et vous verrez que ce n’est pas le cas. Mélenchon est énormément soutenu par la jeunesse. Quand je discute avec des gens – ce que les instituts de sondage ne font pas beaucoup – la tendance n’est clairement pas à l’extrême droite.»

Un point de vue que ne partage pas Sacha T., qui compte apporter sa première voix à Marine Le Pen. «Je suis le seul, que ce soit parmi mes camarades ou dans ma famille à voter « Front ». [Mais] je ne suis pas vraiment étonné par ce sondage. Je crois que la jeunesse […] a une vraie envie de changer la société actuelle avec tous ses grands principes, comme le libéralisme et le mondialisme», dit cet amateur de football, de boxe anglaise et de musculation.

Repli. Clarisse D., encore indécise, se demande malgré tout «comment des jeunes peuvent avoir envie de se replier sur eux-mêmes». Elle assure ne pas avoir envie «que la France qui refuse d’appliquer les fondements de la République arrive au pouvoir». Thibaut F., qui observe que de nombreuses personnes de son entourage comptent voter FN, note que «leur argument est que la droite et la gauche ne peuvent rien faire et que Marine Le Pen, elle, ose parler. Mais ils n’ont aucune idée de son programme et de ses conséquences».

En toile de fond, les «affaires» judiciaires qui ont émaillé cette campagne, surgissent à intervalles réguliers dans les conversations. Samedi, Miguel S. a fait part de son désarroi au groupe. «Salut tout le monde, lance le lycéen en terminale scientifique, à vrai dire je commence réellement à être démoralisé par cette campagne surréaliste, entre les affaires, les clash, les punchlines – même si certains sont drôles. J’ai l’impression qu’on s’éloigne de plus en plus du fond, du programme, des réformes. La désillusion est d’autant plus forte que, lorsque j’étais plus jeune, je rêvais d’avoir 18 ans pour pouvoir voter, et maintenant que c’est le cas…»

Les réactions sont unanimes : «Moi aussi», «en effet», «je comprends»,«c’est vrai». Quelle que soit leur couleur politique, les primo-votants du groupe sont chagrins. Sacha T. abonde. «C’est vrai que cette campagne devient plutôt fatigante. Avec toutes ces affaires, on ne parle plus de fond», regrette l’électeur du FN, citant «pour preuve» l’Emission politique de France 2 qui «a tourné autour du « Penelopegate », des costumes et autres faits nous éloignant des vrais sujets».

Damien E. partage «l’impression que tout est fait pour qu’il n’y ait pas de dialogue de fond». Ce jeune mélenchoniste est fatigué de voir qu’«une affaire sur Fillon sort tous les jours, alors que l’on sait qu’il n’ira jamais en prison, et qu’il ne retirera pas sa candidature». Une situation «absurde», tranche-t-il, suggérant d’«organiser de multiples débats à deux, à trois, entre les candidats ou leurs économistes».

Vote utile. Marie P. a une solution radicale : «En cas d’affaire, les accusés devraient démissionner immédiatement et ne pas monopoliser l’attention», propose-t-elle. De quoi éviter «un second tour avec Le Pen, où les gens vont sûrement voter utile». Car «si c’est pour élire un Fillon mis en examen, bonjour l’élection», ajoute la jeune étudiante, proche de Lutte ouvrière.

Martin L. comprend bien également le désarroi de Miguel S., lui qui considère que «ces histoires […] font passer la politique au rang d’émission TV» et qui regrette que la politique soit «réduite à une histoire de sondages». Mais le jeune homme refuse de voir Miguel S. baisser les bras : «Ne sois pas démoralisé, continue à parler avec autant de passion de la politique et empêche la mise en place d’une étiquette « je-m’en-foutiste » qui est la meilleure chose pour que rien ne change.» Dans son message qui se conclut par un smiley de poing levé, Marie P. glisse elle aussi un mot de soutien à Miguel S. : «Il faut que tu continues à t’y intéresser et à y croire, vu comme le sujet a l’air de te passionner, ce serait dommage de baisser les bras, rien n’empêche d’essayer de changer la donne !»

(1) Le choix a été fait de ne pas donner leur nom.

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Libération 30/03/2017