Le doctorat, un diplôme qui rapporte peu

Les « thésards » trouvent moins facilement du travail que des bac + 5.

FORMATION « Normalement, on devrait trouver des couples d’électrons schizo­phrènes qui dansent la valse ! » C’est après cette conclusion très applaudie qu’Alexan­dre Artaud a remporté, en 2015, le concours « Ma thèse en 180 secondes », avec ses travaux en physique fondamentale. Comme lui, près de 400 thésards présenteront leur doc­torat partout en France pour cette ­compétition, dont les sélections interrégionales se tiennent jusqu’au 11 mai. La finale internationale se tiendra le 28 septembre à Liège, en Belgique. Ce concours, débarqué en France en 2014 pour populariser la recherche, a réussi son pari : celui de permettre au grand public de découvrir le monde des doctorants. Un milieu qui souffre d’une grande désaffection ces dernières années, leur nombre a diminué de 10 % en cinq ans (avec 74 450 doctorants inscrits en 2015-2016).

« L’image que nous avons du doctorat en France est bien terne : une discipline déconnectée du réel, inaccessible au commun des mortels. » À l’étroit dans son petit bureau du Conservatoire ­national des arts et métiers (Cnam), Jean-Jacques Sonny Perseil, volubile directeur de recherche en science politique et en gestion, peine à comprendre le peu de considération pour le doc­torat. À l’embauche, les chercheurs pâtissent d’un grave manque de reconnaissance : cinq ans après l’obtention du diplôme, il y a deux fois plus de chômeurs chez les docteurs que chez les diplômés d’écoles de commerce (7,2 % contre 3,8 %). Une réalité qui se traduit par des aberrations : « Après des dizaines de CV envoyés sans décrocher un entretien, j’ai dû gommer la ligne “doctorat” », se souvient le directeur de thèse.

Aux ressources humaines de la société de gestion de patrimoine Primonial, Hugo Chauvelot confirme que les doctorants peuvent ne pas être en phase avec le marché. Selon lui, « les doctorants trouvent souvent leurs postes dans des secteurs de pointe, comme le high-tech ou l’aéronautique », mais à postuler pour des sociétés moins techniques, ils se heurtent à un mur : « Le cas des surdiplômés est délicat, parce que les entreprises craignent des revendications salariales et hiérarchiques trop élevées. » Selon lui, les docteurs viendraient donc bousculer des équilibres managériaux ancrés dans les cultures d’entreprise.

L’autre combat des chercheurs, c’est de trouver un financement. En sciences humaines, par exemple, seul un doctorant sur trois y a accès. Une précarisation qui explique le désintéressement ­latent pour la recherche. Il existe bien d’autres bourses, celles des entreprises (contrats Cifre) ou des collectivités ­territoriales. Mais alors les sujets de thèse sont imposés.

Pour décrocher un financement du ministère, il faut donc habilement ­choisir son sujet. C’est ce qu’a réussi Guillaume Campredon, 25 ans, doc­torant boursier pour sa recherche sur la sémiologie (l’étude des signes et des symboles, NDLR) chez les Pokemon. Au premier niveau de lecture, le thème peut prêter à sourire. Il l’explique ­pourtant : « Toute la difficulté a été de trouver un corpus à la fois novateur et utile, qui puisse susciter un débat public. C’est le cas des Pokemon, qui jouissent d’un poids économique et culturel sans précédent. »

Christophe, qui termine son doctorat en gestion, confirme l’importance du thème pour trouver des financements : « Les très nombreuses thèses sur le ­genre ou l’environnement, des thé­matiques sensibles et actuelles, ont ­facilement trouvé des bourses ces ­dernières années. » Les thèses jugées « utiles » sont donc financées plus ­facilement. En physique par exemple, où leur intérêt est plus tangible, les doctorants sont boursiers à 97,5 %. Christophe, lui, n’a pas réussi à dé­nicher de bourse. Comme près d’un tiers des doctorants, il ­enchaîne les petits boulots pour mener à bien sa recherche anthropologique sur l’entrepreneuriat.

Le Figaro 12/04/2017