Gaz renouvelable : tous les feux sont au vert

Le biométhane, ami du climat et prometteur en termes d’emplois et d’indépendance énergétique, conquiert entreprises et collectivités et arrive doucement chez les particuliers.

Dans l’imaginaire collectif, les énergies renouvelables se résument souvent au solaire, à l’éolien, à la production d’électricité. Mais saviez-vous que le gaz, lui aussi, peut être d’origine renouvelable (issu de ressources inépuisables, contrairement aux énergies fossiles et fissiles) ? Que ce gaz vert peut parfaitement servir à nous chauffer, cuisiner, produire de l’électricité ou faire rouler nos véhicules, et ainsi remplacer pétrole, gaz d’origine fossile, fioul ou nucléaire ? En France, la filière toute récente du biométhane, en plein essor, semble promise à un bel avenir. De plus en plus de collectivités et d’entreprises en consomment et voici qu’arrivent les premières offres pour les particuliers. Avec, à la clé, moult avantages.

D’où vient le gaz renouvelable ?

La seule technique aujourd’hui mature de production de biométhane est la méthanisation. Son principe est simple. Prenez de la matière organique. Elle peut être issue des déchets ménagers ou de restauration, des super et hypermarchés ou des collectivités (restes de repas, pelures de fruits et légumes, tontes de jardins…), des déchets de l’agro-industrie (graisses d’abattoirs, lactosérum, drêches de brasserie…), de l’agriculture (lisier, fumier, résidus de cultures…) ou encore des boues d’épuration des eaux usées. Collectez, transportez, puis mélangez dans un digesteur, sorte de grosse cuve fermée. Chauffez. En l’absence d’oxygène et sous l’action de bactéries, les matières fermentent jusqu’à produire en quelques semaines du biogaz – contenant plus de 50 % de méthane, mais aussi du CO2 ou de l’eau – et un résidu appelé digestat. Le biogaz peut alimenter un moteur de cogénération pour produire chaleur et / ou électricité. Mais il peut aussi être purifié et odorisé pour atteindre la même qualité que le gaz naturel fossile (98 % de méthane et une odeur permettant de le détecter). Il prend alors le nom de biométhane et peut être injecté dans le réseau de distribution de gaz, où il se mélange au gaz importé.

Pourquoi est-il en plein essor ?

L’injection de biométhane dans le réseau de gaz, autorisée depuis 2011 seulement, croît très vite. En France, il existait 26 sites d’injection fin 2016 (contre 17 fin 2015) pour une production totale de 215 GWh, équivalent à la consommation de 18 000 logements ou 1 000 bus. En mars, on comptait déjà six sites de plus. Les pouvoirs publics ne sont pas étrangers à cette envolée. Ils voient dans cette énergie renouvelable de multiples avantages : baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES), meilleure gestion des déchets, moindre dépendance du pays aux importations de gaz, complément de revenus pour les agriculteurs, créations d’emplois… La filière biométhane pourrait créer «de 2 000 à 3 000 emplois directs non délocalisables à l’horizon 2020», estimaient en février plusieurs gros acteurs, dont GRDF, le principal distributeur de gaz en France. Pour l’ensemble de la filière biogaz, le chiffre grimpe à «plus de 10 000 emplois de développement-construction et près de 5 000 dans l’exploitation et la maintenance». De quoi, au-delà des grands groupes comme Engie, profiter à des PME comme Chaumeca (Nord) ou Prodeval (Drôme). La filière étant toute jeune, le coût de production reste élevé (quatre à cinq fois le coût du gaz fossile importé). Pour l’aider à décoller, l’Etat la soutient en assurant aux producteurs de biométhane (agriculteurs, industriels, collectivités…) la vente de leur gaz à un tarif avantageux, garanti pour quinze ans. La loi de transition énergétique de 2015 fixe, elle, un objectif de 10 % de gaz renouvelable consommé en 2030. «Le potentiel, à terme, est encore bien plus élevé : on pourra remplacer quasiment tout le gaz naturel fossile par du biométhane, dont le coût est appelé à baisser», assure Christophe Bellet, chez GRDF. D’ici 2050, les déchets méthanisables pourraient fournir 56 % du gaz circulant dans le réseau de distribution national selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), voire 73 % selon GRDF. Ces deux acteurs ont demandé au cabinet d’experts Solagro d’étudier comment atteindre 100 % de gaz renouvelable en 2050 en France. Pas si irréaliste : à partir de 2020-2030, il sera possible de produire du biométhane à partir de biomasse sèche (notamment de bois, par gazéification), de microalgues ou d’électricité d’origine renouvelable («power to gas»).

La consommation suit-elle ?

En 2016, le biométhane ne représentait certes qu’un minuscule 0,05 % de la consommation française de gaz. Mais ce chiffre était en hausse de 146 % sur un an. Aujourd’hui, les consommateurs de gaz vert sont quasi exclusivement des collectivités et entreprises. Et son principal usage est le biométhane carburant, aussi appelé BioGNV. En plus des stations privatives, une quarantaine de stations publiques de gaz naturel pour véhicule (GNV) en proposent, selon l’Association française du GNV. Et les ouvertures se multiplient en 2017, notamment de la part d’Engie et de sa filiale GNVert. La ville de Lille fait rouler ses bus avec du gaz renouvelable produit par son propre Centre de valorisation organique (CVO) des biodéchets collectés auprès des ménages, espaces verts et cantines. Paris, où la RATP fait déjà rouler la ligne de bus 24 avec ce carburant, a lancé le 4 mai la collecte des déchets alimentaires des particuliers, pour produire compost et biogaz. L’accès des véhicules polluants aux centres-villes devenant un casse-tête, nombre de transporteurs routiers, mais aussi Ikea, Monoprix, Picard ou Biocoop, font désormais rouler leurs flottes de camions au BioGNV. Idem pour Carrefour, qui a inauguré en avril une station ad hoc en Seine-et-Marne, en partenariat avec Air Liquide, en attendant une dizaine d’autres dans l’année.

Bourg-en-Bresse (Ain) chauffe une partie de ses bâtiments municipaux au gaz renouvelable. Cofely (filiale d’Engie) en achète pour alimenter son réseau de chaleur à Outreau (Pas-de-Calais). En Saône-et-Loire, Terreal s’en sert pour sa très énergivore production de tuiles. Et le marché s’ouvre depuis peu aux particuliers. Lors de son lancement fin 2016, le nouveau fournisseur ekWateur se targuait de leur proposer «pour la première fois en France» une offre de gaz naturel «100 % biométhane» issu de produits agricoles anglais – par défaut, ses contrats en prévoient une part de 5 %. Direct Energie met en avant, lui, une offre intégrant «10 % de biogaz français». Le fournisseur coopératif d’électricité 100 % renouvelable Enercoop vient d’obtenir fin avril l’autorisation d’opérer comme fournisseur de gaz renouvelable, une offre qu’il compte proposer dès 2019 grâce à des contrats directs avec des producteurs français. Chez Engie, on «étudie la possibilité de proposer courant 2017 une offre de gaz vert pour les particuliers, mais sur un volume restreint car pour l’instant, les volumes disponibles ne suffiraient pas à satisfaire une demande massive».

Pour le consommateur, nul besoin de changer d’installation et le gaz vert ne coûte pas forcément plus cher. Un mécanisme de compensation dédommage en effet les fournisseurs de gaz du surcoût engendré par l’achat de biométhane aux producteurs. Et depuis le 1er janvier, les consommations de biométhane pour des usages hors carburant sont exonérées de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN). «Ce gaz sera donc même moins cher pour les particuliers qui voudront en utiliser pour leur chaudière, par exemple», assure Christophe Bellet, de GRDF. Quant à savoir si le gaz a bien été produit à partir de sources renouvelables, un mécanisme bien rôdé et contrôlé de «garanties d’origine» (GO) permet de le certifier. Pour chaque MWh de biométhane injecté dans le réseau, une GO est créée. Les fournisseurs de gaz vert s’engagent à acheter auprès des producteurs autant de GO que leurs clients ont consommé.

Est-il vraiment écolo ?

Oui, à condition d’éviter certains écueils. D’abord, il est un ami du climat, puisqu’il émet cinq fois moins de GES dans l’atmosphère que le gaz fossile. Le BioGNV permet de diminuer ces émissions de 80 à 90 % par rapport à l’essence et au diesel. Mais ce n’est pas tout. Il est aussi infiniment moins polluant que le diesel : il rejette jusqu’à 90 % d’oxydes d’azote de moins (les fameux NOx, très nocifs pour la santé), ne produit quasiment pas de soufre ni de particules fines, le tout en étant deux fois moins bruyant. Quant au digestat, ce résidu de la méthanisation, c’est un engrais organique naturel et inodore qui peut être épandu sur les terres agricoles et remplacer ainsi les engrais pétrochimiques. Le gaz renouvelable serait-il la panacée ? Pas si vite. En Allemagne, des milliers d’hectares de maïs ont été dédiés à la seule méthanisation. Officiellement, la France a tiré les enseignements de ces dérives et limite les cultures alimentaires ou énergétiques «dédiées» à 15 % du tonnage pouvant entrer dans un méthaniseur. «Sauf que la définition de ces cultures reste floue et qu’il n’y a pas de moyens de contrôle, s’inquiète Jacques Pasquier, de la Confédération paysanne. Par ailleurs, contrairement à ce qu’a affirmé le gouvernement Hollande, la méthanisation ne permet pas de réduire l’azote des effluents d’élevage et ne règle en rien la pollution de l’eau par les nitrates. Les digestats sont aussi bien plus difficiles à stocker et à épandre que le fumier. Les gros projets de méthanisation comme celui adossé à la ferme-usine des « mille vaches », dans la Somme, considèrent à tort les déjections animales comme des déchets, alors que dans les exploitations à taille humaine, elles fertilisent les sols. Le risque, surtout, est que la méthanisation serve de caution à l’industrialisation de l’agriculture et la renforce, que les agriculteurs ne soient plus que des producteurs d’énergie.»

Sans rejeter en bloc la méthanisation, la Confédération paysanne demande donc l’interdiction absolue de nourrir les méthaniseurs avec des cultures dédiées. Et recommande de privilégier les projets collectifs, de territoire, associant plusieurs agriculteurs ainsi que des entreprises et / ou des collectivités locales qui apporteraient légumes avariés, déchets verts ou restes de cantines. Le tout sur une étendue limitée, pour éviter le transport de biomasse et de digestats sur de trop grandes distances.

C’est aussi la vision d’Enercoop. «Le gaz renouvelable peut être un formidable levier d’accélération de la transition énergétique et écologique, de réappropriation citoyenne de ces enjeux, à condition de soutenir les projets de méthanisation vertueux, de taille raisonnable, qui associent différents acteurs sur un même territoire», explique Suzanne Renard, directrice du projet gaz du fournisseur. Et de citer en exemple le projet Méthadoux, porté par 30 éleveurs en Poitou-Charentes. Même soutien, assorti de réserves, du côté de France Nature Environnement. «Le secteur des transports, en particulier, a énormément besoin du gaz vert, souligne Adeline Mathien, coordinatrice «énergie» de cette fédération d’ONG. Mais le recyclage des biodéchets pour la méthanisation ne doit pas nous affranchir d’éviter à tout prix le gaspillage alimentaire.» En attendant, l’essor du biométhane doit encore monter en puissance pour pouvoir atteindre les 10 % de consommation en 2030 fixés par l’Etat. Il reste à lever des freins : frilosité des banques, complexité des autorisations administratives, acceptabilité locale des projets… Voyant pousser ces drôles de dômes, les riverains craignent souvent, à tort, les risques d’odeurs, de prolifération de mouches ou de rongeurs, ou d’explosions. Il faudra pourtant s’habituer à les voir s’intégrer à nos paysages.

Libération 11/05/2017