Voyage en terre de données

La Cité des sciences et de l’industrie tente d’apporter des clés pour comprendre les mystères du numérique.

L’EXPOSITION. Pas facile de rendre palpables et compréhensibles des concepts immatériels. Tel est le pari, en partie réussi, de l’exposition « Terra data » de la Cité des sciences à Paris. L’ambition de cet espace est d’expliquer l’un des carburants de transformations majeures dans nos sociétés, le ­numérique. Images, textes, sons, interactions de toutes sortes par le Web, le mobile, les objets…, tout s’est métamorphosé en une succession de 0 et de 1. Des mots nouveaux apparaissent, big data (mégadonnées pour la version française), algorithme, chiffrement, intelligence artificielle… Des métiers naissent, souvent en anglais : data scientist, data analyst, data broker… Des applications ­incroyables émergent comme la reconnaissance de visages, les moteurs de recherche, la visualisation de millions d’objets en inter­action… Et nos vies en sont bouleversées pour le meilleur ou le pire.

Il y a tout cela et bien plus dans cette salle sombre, découpée en trente-six pixels, matérialisés par des tables sur lesquelles la muséographie habituelle se déploie : courts textes, vidéo, casque audio, interactivité… Certaines sont particulièrement réussies. La notion d’algorithme est ainsi expliquée en proposant au visiteur de nouer des cravates en suivant une série d’instructions abstraites. Ou bien, au sol, les participants se trient eux-mêmes en cheminant et bifurquant selon certaines règles. Les écrans interactifs exposant les pièges des infographies sont aussi ­pédagogiquement très efficaces.

Des sujets qui laissent sur leur faim

Sur les écrans, où des chercheurs à taille réelle exposent certains concepts, le sociologue Dominique Cardon fait prendre de la hauteur au sujet, en pointant les changements apportés sur sa discipline par toutes ces traces numériques que laisse une population, sur les réseaux de communication par exemple. Une sorte de statistique par en bas, se substituant à la catégorisation par en haut en classes d’âge, classes sociales…

A la sortie, une dernière vidéo, présentée par une vedette française de YouTube, ­Experimentboy, résume bien la manière dont le sujet entremêle la technique et ses conséquences. Pour lui, nous construisons un double numérique sur lequel il s’agit de garder un œil ouvert. Un concept pédagogiquement très fécond. D’autres tables laissent sur leur faim. Celles évoquant l’intelligence artificielle proposent des démonstrations impressionnantes, mais les secrets des algorithmes restent cachés. Au chapitre protection de la vie personnelle, au demeurant largement couvert par plusieurs tables, la même frustration peut se faire sentir. Le spectateur est invité à effacer ses traces, e-mails, Tweet, biométrie… A la fin, forcément, il ne reste rien, sans qu’on ait appris grand-chose.

Un livre éponyme, rédigé par deux contributeurs de l’exposition, Serge Abiteboul et Valérie Peugeot, complète admirablement la visite, alternant toujours explications techniques et réflexions éthiques.

Terra data, jusqu’au 7 janvier 2018, Cité des sciences et de l’industrie, Paris

Le Monde 18/05/2017