Au Danemark, on passe le bac connecté à Internet

Depuis 2008, les lycées du Danemark testent l’usage du Web pendant les examens. Avec des résultats plutôt concluants, qui pourraient déboucher sur une généralisation des épreuves connectées.

Pour les bacheliers danois, c’est la dernière ligne droite avant les examens, fin mai. Jens Philip Yazdani, en troisième année au lycée Langkaer, à ­Aarhus, est serein. Le jour du bac, il pourra venir avec son ordinateur, ses livres et ses cours. Il aura même le droit de se connecter à Internet durant l’épreuve de sciences sociales, « pour chercher des articles, des statistiques ou même des théories », explique le jeune homme, élu début mai à la tête de l’organisation des lycéens danois DGS.

Notre étonnement l’amuse :

« Dans la société danoise de 2017, vous pouvez vous servir d’Internet partout, remarque le lycéen. Il est donc logique de l’utiliser pour les examens. En contrepartie, le niveau des exigences est plus élevé. »

L’usage du portable autorisé pendant le bac

Le Danemark a été l’un des premiers pays du monde à autoriser l’usage d’Internet au bac, dès 2008. A l’époque, il s’agit d’une expérimentation. Depuis 1994, les lycéens peuvent rédiger leurs examens sur ordinateur. Ils ont même le droit d’utiliser certains programmes, installés sur leur portable, pendant le bac, depuis 2000.

« Il n’était pas question de revenir en arrière, alors que nous utilisons les technologies de l’information dès qu’elles peuvent aider les enfants dans l’apprentissage », explique Bettina Lundgaard Hansen, consultante auprès de l’Agence des technologies de l’information et de l’apprentissage, au ministère.

« L’expérience a été un catalyseur pour le développement des matières », constate le rapport d’évaluation.

Un test est lancé dans quatorze lycées, pendant trois ans, s’appliquant au danois, aux maths et aux sciences sociales, pour les filières généralistes ; à l’économie d’entreprise, à l’économie internationale et au marketing, pour les filières commerciales.

« L’expérience (…) a été un catalyseur pour le développement des matières, constate le rapport d’évaluation. Les étudiants et les enseignants ont souligné que les conditions d’examen, avec accès à Internet, avaient augmenté la qualité des cours, avec plus d’enseignements contemporains, de meilleures possibilités d’exploiter de nouveaux styles d’enseignement et davantage d’accent sur la profondeur et l’ampleur de la matière. »

Possible généralisation d’ici à 2020

Au terme des trois ans, l’expérience a été étendue progressivement à d’autres lycées et à de nouvelles matières. Cette année, « 33 947 étudiants, dans 176 écoles, vont accomplir un ou plusieurs examens numériques, utilisant l’accès à Internet comme une ressource académique », fait savoir le ministère. Les examens connectés sont encore presque tous optionnels pour les établissements, mais, d’ici à 2020, toutes les épreuves pourraient être réalisées en partie ou entièrement avec l’aide d’Internet.

Au sud-est de Copenhague, le lycée Greve a participé à l’expérimentation. « Nous voulons des examens qui reflètent la façon dont travaillent nos étudiants, explique son responsable pédagogique, Simon Rosell Holt. Ils viennent toute l’année à l’école avec leur ordinateur. Il est normal qu’on ne fasse pas de différence pendant les examens. Ils avaient d’ailleurs déjà le droit d’apporter leurs notes et leurs manuels. Maintenant, ils peuvent se connecter. »

Jeppe Bundsgaard, chercheur à l’institut de pédagogie et d’éducation à Aarhus, défend la démarche : « On essaie de créer de l’authenticité. L’épreuve traditionnelle, où les étudiants sont assis pendant des heures dans une pièce, isolés du reste du monde, est complètement artificielle. Les autoriser à accéder à Internet permet de les placer dans une situation aussi proche que possible de la réalité, en testant ce qu’ils ont appris à l’école et leurs méthodes de travail. »

Logiciels anti-plagiat et contenus revisités

Seule limite : les étudiants n’ont pas le droit de communiquer avec l’extérieur. « Comme avant, il y a des surveillants dans la salle, raconte Simon Rosell Holt. Et, une fois que l’épreuve est finie, les textes produits sont passés au filtre de logiciels anti-plagiat. » Certains établissements examinent même les ordinateurs à la fin des examens, pour s’assurer que les bacheliers n’ont pas reçu d’aide de l’extérieur.

Mais « c’est assez difficile à gérer », avoue Mette Bering, professeur de français au lycée de Roskilde, à l’ouest de Copenhague. Elle pointe du doigt l’existence de logiciels permettant d’accéder à un document depuis un autre ordinateur. Pour le bac, cette année, l’enseignante avait le choix : proposer un examen traditionnel ou bien la nouvelle version, avec une première heure sans connexion et les trois suivantes avec Internet. Les étudiants ont alors accès à tous les sites qu’ils souhaitent, y compris les moteurs de traduction.

Dans ce nouveau contexte, les examens ont dû être adaptés. « L’exercice de production d’un texte, par exemple, est beaucoup plus compliqué, observe Mette Bering. On leur donne un thème, des mots et des expressions à utiliser dans le texte. » Ils doivent aussi intégrer les informations trouvées sur d’autres supports écrits, en image ou vidéo. « Au final, on se retrouve avec une meilleure épreuve », assure l’enseignante.

Le contenu de l’enseignement a dû lui aussi être revisité. Puisque les ­lycéens sont testés sur leur capacité à aller chercher et analyser des informations sur Internet, « il est primordial d’entraîner leur sens critique », commente ainsi le chercheur Jeppe Bundsgaard.

Critiques

Mais, si les syndicats sont favorables à l’expérience, certains enseignants le sont moins. Martin Wille, professeur de danois et de physique au lycée d’Espergærde, dans le nord de Copenhague, met en garde :

« Nos élèves n’ont pas encore atteint la maturité au niveau de l’écriture. Développer sa propre voix, un ton personnel, prend du temps. Et c’est uniquement sur cela que nous devrions nous concentrer, plutôt que de leur apprendre à analyser les informations qu’ils trouvent sur la Toile. »

Après avoir corrigé des copies rédigées avec l’aide d’Internet, il est plus convaincu que jamais :

« Au lieu d’écrire leurs propres pensées et réflexions, permettant de les organiser, les lycéens ont tendance à rassembler celles que d’autres ont formulées. »

Un de ses collègues s’alarme, pour sa part, que la priorité soit donnée à la compétence plutôt qu’à la connaissance.

Le Monde 24/05/2017