Le rapport qui pointe les risques des réseaux sociaux pour les adolescents

La peur de louper un message devient une source d’anxiété et affecte la santé et le bien-être des jeunes.

Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Snapchat, les réseaux sociaux sont accusés de mille maux… et parés de mille vertus. Entre 16 et 24 ans, 91 % des jeunes Anglais les utilisent pour échanger des messages, des photos ou des vidéos, explique la Société royale de santé publique (RSPH) qui vient de rendre un rapport intitulé «Les réseaux sociaux, la santé mentale et le bien-être des jeunes gens». Ce travail effectué conjointement avec le Mouvement de santé de la jeunesse (YHM), une autre organisation à but non lucratif, présente pour la première fois une analyse détaillée des cinq principaux réseaux empruntés par les jeunes.

«Les réseaux sociaux sont devenus un endroit dans lequel se forment et se construisent les relations, se forge l’identité, s’exprime l’individu et se dessine le monde environnant ; c’est intrinsèquement lié à la santé mentale», écrivent en préambule de leur rapport Shirley Cramer, la déléguée générale de la RSPH, et le Dr Becky Inkster, spécialiste en neurosciences de l’université de Cambridge.

Les deux spécialistes ont déterminé, avec un groupe d’experts en santé mentale, une série de critères sur l’impact de leur utilisation dans différents domaines allant du sommeil à l’expression de soi. Puis ils ont demandé à 1.400 jeunes âgés de 14 à 24 ans d’évaluer les réseaux sur la base des quatorze critères (nous en avons retenu sept dans l’infographie ci-dessus). À partir des réponses des jeunes, le rapport établit en outre un classement des réseaux. YouTube apparaît comme le plus positif, Snapchat arrive bon dernier des cinq.

 «Les adolescents sont très sensibles à leur apparence physique, malheureusement c’est aussi à cet âge-là qu’on a le moins d’empathie. Certains s’élèvent en marchant sur les autres»

Jean-Michel Huet, psychanalyste

De façon générale, les ados utilisent plutôt YouTube pour suivre leurs stars préférées, alors que les autres réseaux sont plus personnels. Néanmoins sur YouTube, la possibilité de commenter les vidéos et de signaler celles qu’on aime contribue également à se définir.

C’est aussi là que réside l’inconvénient majeur des réseaux sociaux. Les jeunes s’y dévoilent, s’y exposent et se soumettent au regard, pas toujours bienveillant, des autres. «Sur les réseaux sociaux, on est toujours en train de demander les suffrages des autres, y compris des gens dont on n’a rien à faire et des gens qui ne nous connaissent pas ou seulement un aspect de notre personnalité», remarque le psychanalyste Jean-Michel Huet (Paris). Un risque même pour des ados bien dans leur peau tant le besoin de conformité est fort à cet âge-là. «Il n’y a pas plus moutonnier que les adolescents, ajoute le spécialiste. On a tous été des ados rebelles et individualistes. Mais nous portions les mêmes jeans et les mêmes tee-shirts que les autres.»

Autre danger, les critiques, parfois destructrices, qui portent sur le corps. «Les adolescents sont très sensibles à leur apparence physique, explique encore Jean-Michel Huet, malheureusement c’est aussi à cet âge-là qu’on a le moins d’empathie. Certains s’élèvent en marchant sur les autres.» Dans l’enquête anglaise, sept utilisateurs sur dix rapportent avoir déjà reçu des messages négatifs, et un tiers, assez souvent.

«Un bistro ouvert en permanence»

Mais tout n’est pas noir. Les jeunes soulignent l’intérêt psychologique de pouvoir s’exprimer, d’avoir l’impression de faire partie d’une communauté et de pouvoir bénéficier d’un support émotionnel. Pour l’immense majorité d’entre eux, le réseau n’est qu’un prolongement des échanges dans la vie réelle. «Quand tu rencontres quelqu’un, tu ne lui demandes pas forcément son 06 (numéro de portable, NDLR), explique Joséphine, 17 ans, par contre tu lui demandes toujours son Snap ou Insta.» Facile ensuite de l’inclure dans le cercle, souvent très large, de ses amis. «Les réseaux sociaux, c’est un bistro ouvert en permanence et où on entre en quelques secondes», remarque le psychanalyste. Avec une conséquence immédiate: «On n’est jamais seul, que ce soit dans le bon ou le mauvais sens du terme.»

Le rapport de la RSPH-YHM dénonce également l’impact massif sur le sommeil de cette connexion permanente. Certains ados se réveillent même la nuit pour consulter leur smartphone! «Sur Snapchat, on peut regarder la “Story” de ses amis (les messages, photos ou vidéos qu’ils ont envoyés, NDLR), explique Alicia, 14 ans… Mais il faut être toujours en veille, car tout ce qui est mis s’efface au bout de 24 heures!» Un système redoutablement efficace pour pousser à la connexion. «Moi, je mets mon téléphone en mode avion quand je dors», affirme-t-elle.

Sur Twitter, les messages envoyés par tous ceux que l’on suit s’ajoutent les uns à la suite des autres, ce qui incite à des connexions fréquentes et répétées

«L’avantage, c’est que sur Snapchat, tu vois qui a ouvert ta Story», explique à son tour Joséphine. «Quand tu veux obliger quelqu’un à répondre à une question, tu lui envoies un Snap, ajoute Alicia, une fois qu’il l’a ouvert, tu sais qu’il a vu ta question et lui sait que tu sais qu’il l’a vue.» Le rapport pointe d’ailleurs l’anxiété que suscite en particulier l’attente des réactions aux messages postés.

Les adultes, même avertis, peuvent aussi tomber dans le piège de l’addiction aux réseaux sociaux. «L’autre jour, j’ai reçu un message d’un cousin éloigné que je n’avais pas vu depuis 40 ans, s’amuse Jean-Michel Huet. J’ai répondu et je me suis surpris à guetter la réponse sur mon téléphone pendant une heure.» Certaines applications jouent de cette impatience et, plus subtilement encore, l’encouragent. Les experts anglais parlent de «peur de rater quelque chose» (FoMO pour «Fear of missing out») pour décrire ce concept.

Ainsi sur Twitter, les messages envoyés par tous ceux que l’on suit s’ajoutent les uns à la suite des autres (les plus récents en premier), ce qui incite à des connexions fréquentes et répétées. Comme si les pages d’un magazine se tournaient toutes les secondes. Il est bien sûr possible de revenir en arrière, ce qui peut vite devenir addictif tant la peur d’avoir raté un message intéressant fait qu’il est parfois difficile de s’arrêter de «remonter le temps».

N’est-ce pas là l’illusion suprême?

Le Figaro 25/05/2017