Les « labs » s’essaient à l’innovation managériale

Effet de mode ou révolution dans l’entreprise, ces espaces collaboratifs repensent les pratiques de management.

Les « labs », ces espaces collaboratifs d’innovation, poussent comme des champignons. Difficile d’en dresser une typologie tant ces structures tiennent de l’auberge espagnole. Chacun y amène en effet sa conception du lab : quand certains sont réservés aux salariés d’une entreprise, d’autres jouent la carte intersociétés, voire associent clients, collaborateurs et partenaires.

Si les « fablabs » (pour Fabrication Laboratory) visent l’innovation technique, d’autres espaces, loin des commandes numériques, des machines-outils et autres prototypes, ont pour objectif l’innovation dans l’organisation et le management.

Lire aussi :   Les « fab labs » inspirent les grandes entreprises, sans faire modèle

C’est le cas notamment du LabRH, association qui réunit 370 start-up, 40 grands comptes (dont Engie, BNP Paribas, Adecco ou Chanel) et des institutionnels (Caisse des dépôts,…), autour de l’innovation des ressources humaines. Même approche pour les labs R & D (entendez Ratures et Découvertes) de la Maison du management, association comptant 430 membres, dont une trentaine se constituent en labs sous forme de quatre à cinq réunions annuelles. Les participants y planchent sur des thèmes tels que la qualité de vie au travail ou le management en 2030.

Dépoussiérer les approches managériales

Quels que soient leurs objectifs, toutes ces structures contribuent à dépoussiérer les approches managériales. Elles portent dans leur ADN l’ouverture, l’absence de hiérarchie, les valeurs d’écoute, la spontanéité, la créativité et l’agilité. Le tout dans un esprit ludique. « Pas de statut, pas de hiérarchie, pas de barrière, explique Nelly Chapelle, conseillère à l’agence Pôle emploi de La Valette-du-Var (Provence-Alpes-Côte d’Azur), venue à Paris au lab Pôle emploi phosphorer pendant deux jours sur la façon dont les conseillers travailleront demain.

La participation à un lab est, pour les salariés, un espace de respiration.

Le lab réunit collaborateurs, demandeurs d’emploi, partenaires et start-up, avec la mission de développer de nouveaux services pour les usagers, de rénover les modes de travail et de diffuser une culture de l’innovation en interne. « Chaque participant arbore sur son badge son seul prénom. Même le lieu est non conforme : pas de logo Pôle emploi, un petit salon en guise d’accueil, un look de start-up », explique celle qui a vécu son passage au lab comme « une aventure, une parenthèse inattendue ». La participation à un lab est l’occasion pour des salariés curieux d’élargir leur horizon et pour les salariés frustrés de ne pouvoir explorer leurs projets dans des structures trop pyramidales de tester leurs idées. Bref, un espace de respiration.

Lire aussi :   Au FacLab de Gennevilliers : « Ce que l’on fabrique le mieux, c’est du lien »

La notion même de lab en tant qu’espace de liberté n’est pas toujours facile à appréhender par les manageurs. Petit retour en arrière : Renault crée son fablab en 2013, à l’initiative de deux ingénieurs de la maison. Une démarche pionnière qui n’a pas suscité immédiatement d’enthousiasme en interne. « Après avoir décrié le lieu, vu par certains comme une “aire de jeu”, les manageurs ont fini par se l’approprier », relate Amadou Lo, enseignant-chercheur à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Lyon. Aujourd’hui l’espace dédié au lab est passé de 60 m2 à 200 m2, trois responsables s’y consacrent à plein temps et une centaine de salariés se sont impliqués dans la démarche.

Convaincre l’ensemble du corps social

L’étiquette « lab » permet aussi aux entreprises en mal de sang neuf de résoudre un double problème : celui de l’attractivité pour de jeunes collaborateurs et celui de leur fidélisation. Un plus appréciable pour la marque-employeur. « Les labs montrent aux jeunes que les grandes entreprises, même celles ayant une longue histoire derrière elles, peuvent être agiles et développer l’expression individuelle, estime Madeleine Stoffaes, chargée de mission au cabinet du directeur général de Gaz Réseau Distribution France (GRDF). C’est une façon de casser les codes en douceur ».

Lire aussi :   La SNCF met les jeunes pousses sur la bonne voie

Philippe Détrie, le fondateur de la Maison du management, voit dans la multiplication de ces espaces une véritable révolution managériale. « L’erreur n’est plus condamnée en tant que telle, il n’y a plus de stigmatisation de l’échec. C’est toute la culture de l’entreprise qui change », affirme-t-il. Reste néanmoins à convaincre l’ensemble du corps social. « C’est bien d’embarquer les salariés, mais ce n’est pas suffisant, avertit Alexandre Stourbe, coordinateur général du LabRH. Il faut aussi convaincre le top management et les syndicats ». La CFE-CGC s’est d’ailleurs jointe aux travaux du LabRH.

Faut-il y voir un simple phénomène de mode, une manière pour les entreprises de séduire les plus jeunes ? « Certaines sociétés risquent, c’est vrai, d’agir par simple mimétisme. Mais attention au lab vitrine ! avertit Amadou Lo, car un vrai lab a un rôle subversif, ce qui est nécessaire pour parvenir à de l’inattendu. Bref, une forme de transgression positive. »

Le Monde 26/05/2017