La voiture volante arrive !

Les avancées technologiques montrent que ces engins ne sont plus une utopie. Un scénario à l’image du « 5e élément » n’est pas pour demain pour autant. Les questions de sécurité, de réglementation, mais aussi celles d’acceptation sociétale, sont complexes.

De l’autoplane du pionnier de l’aéronautique américaine Glenn Curtis en 1917 en passant par le monde du cinéma, la voiture volante est un vieux rêve. Mais si pendant longtemps les tentatives de concrétisation laissaient à désirer, le fantasme se transforme de plus en plus en réalité. « Pourra-t-on parvenir à mettre au point dans un avenir raisonnable un système de mobilité aérienne à la demande, ce qui serait clairement l’avènement d’une nouvelle ère pour l’aviation ? Plusieurs éléments indiquent que ce n’est plus une utopie », a lancé Bruno Sainjon, Président-directeur général de l’ONERA, lors d’une table ronde qui s’est déroulée lors de Paris Air Forum, organisé par La Tribune le 16 juin à la Maison de la Chimie.

Plusieurs facteurs convergent, selon le PDG du centre français de recherche aérospatiale :

« acquis considérables concernant les drones et notamment l’automatique applicable au pilotage des aéronefs et à la gestion du trafic aérien, émergence d’une demande sociétale pour une mobilité à la demande, et technologies nouvelles pour l’aérien comme la motorisation électrique ».

L’ONERA s’est d’ailleurs investie dès 2009 dans un concept entièrement automatique baptisé PPlane, à la suite d’une étude européenne visant à identifier les nouvelles technologies potentielles pour le transport aérien futur. Un petit avion propulsé par six fans, entraîné par des parties électriques intégrées dans l’aile, entièrement automatique, avec seuls les passagers, de quatre à huit, bord. Autre sujet sur lequel a planché le centre français, la propulsion électrique des aéronefs.

« L’ONERA a d’emblée cherché à repenser l’ensemble du véhicule, son aérodynamique, son contrôle, la gestion du vol autour de cette nouvelle propulsion, en proposant un concept-plane baptisé Ampere », détaille Bruno SainjonEt si transformer celui-ci en voiture volante nécessiterait des évolutions, « il n’y a rien qui paraisse fondamentalement impossible, même si l’avenir appartient davantage à un système de mobilité à décollage court ou vertical ».

En résumé, pour le PDG de L’ONERA, la voiture volante ou la mobilité aérienne à la demande pourraient « produire une révolution d’usage dans les transports intra ou interurbains par la réunion de technologies arrivées à un stade suffisant de maturité, tout cela dans un environnement sociétal nouveau. Il n’est pas utopique de penser qu’un tel système pourrait voir le jour d’ici à 10 ou 20 ans ».

La course d’obstacles

Côté économie, la multiplication sur la planète de méga-villes, confrontées à la congestion, crée un besoin, selon Jean-Brice Dumont, Executive Vice President Engineering d’Airbus Helicopters. Comment le combler ? « Il y a une course de haies avec beaucoup de technologies ». Technologie propulsive, intelligence artificielle, «  detect and avoid », un questionnement de fond sur la trajectoire de l’aéronef et plus généralement son contrôle… sont autant de sujets sur lesquelles il faut avancer, détaille-t-il.

« La quantité d’initiatives venant de l’industrie du secteur aéronautique et de l’industrie à l’extérieur de celle-ci montrent qu’il y a un réel appétit, un réel intérêt et que tout le monde apporte sa pierre à l’édifice ».

Concrètement, « nous sommes dans une logique de maturation de technologies et de démonstration », indique Jean-Brice Dumont. Exemples ? « Voom, qui est une démonstration d’Uber aérien avec des hélicoptères » au-dessus de Sao Paolo. Le très médiatisé Vahana – un véhicule volant autonome électrique à l’aspect futuriste, sorti d’un laboratoire d’innovation d’Airbus dans la Silicon Valley.  Ou encore CityAirbus, né dans les équipes d’hélicoptères. Sans oublier une initiative, à Singapour, de livraison de colis avec des drones de petite taille « qui permet de tester de bout à bout à échelle réduite l’ensemble des problématiques ».

La longue marche réglementaire

Les projets de véhicules volants sont nombreux. « Nous ne sommes pas dans le développement du concept, mais déjà sur des choses qui fonctionnent et qui sont réelles », relève Patrick Cipriani, Directeur de la sécurité de l’aviation civile de la DGAC. Variés, ces engins présentent certaines caractéristiques communes comme atterrissage et décollage verticaux pour nombre d’entre eux, la motorisation multiple répartie souvent électrique, poids… qui conduisent à la nécessité d’une certification européenne, analyse-t-il. Également, il y a ceux plus proches de l’aviation que nous connaissons, des engins pilotés, avec certains qui alternent l’aérien et la voiture, puis des solutions télépilotées avec des passagers à bord, sans oublier les projets en tout automatiques, recense-t-il.

La liste des questions réglementaires auxquels ces engins devront faire face est tout aussi longue. S’agira-t-il de vol pour son compte ou celui d’emport de passagers ?

« Il y a tout un dispositif beaucoup plus exigeant pour le transport et c’est une problématique qu’on retrouvera sur ces engins volants, suivant ce que le pilote assumera ses propres risques pour son compte ou qu’on offre un service », décrypte Patrick Cipriani.

Autre interrogation, quel niveau de sécurité pour le transport ? Identique à celui du transport de passagers en vigueur aujourd’hui ? Ou sera-t-on prêts à accepter un niveau inférieur, comme celui de l’aviation légère ?

Mais encore, quelles responsabilités d’assurance ? Quels aménagements pour l’atterrissage et le décollage ? Quelle gestion du risque cyber des opérations entièrement automatisées ? Surtout, sur la route des engins volants se dresse un obstacle majeur : celui de l’acceptabilité environnementale et sociétale. Nuisances sonores, pollution visuelle… Et comment acceptera-t-on d’être survolé au-dessus de nos maisons par des engins inconnus ?

En attendant, des scénarios de ce qui pouvait hier appartenir à la science-fiction se concrétisent dans certains coins de la planète. Dès cet été sera lancé à Dubaï le premier service de taxis volants construits par le chinois Ehang, tandis qu’Uber affiche l’objectif d’un service de taxis volants pour 2020.

Pour Jean-Brice Dumont, « cela va amener du bon à tout cet effort que l’industrie va faire vers cette mobilité aérienne différente ». Pour autant, question culturelle, « nous voulons la sécurité avant tout. Je ne ferai pas voler quoi que soit sans la bonne démonstration de sécurité. Et la sécurité dans ces genres de solutions va au-delà de ce qu’on a l’habitude de faire », insiste-t-il. « On regarde avec intérêt ces dates prochaines de 2020. On essaiera de viser 2020 aussi si on est convaincus qu’on peut le faire. Sinon ce sera plus tard ».

La Tribune 28/06/2017