Vaccins : mais que leur reproche-t-on exactement ?

A Mont de Marsan, campagne d'information en faveur de la vaccination contre l'hépatite B

La vaccination est un sujet sensible qui revient souvent sur le devant de la scène. Mais pourquoi s’en méfie-t-on autant en France ?

Convaincues qu’il existe un lien entre vaccination et autisme, une centaine de familles vont lancer en septembre prochain une action de groupe contre quatre laboratoires pharmaceutiques (Sanofi, Pfizer, Eli Lilly et GlaxoSmithKline), révèle Le Parisien lundi.

Si le journal qualifie cette action de groupe de « fait rare », la vaccination est un sujet sensible qui revient sur le devant de la scène à intervalles réguliers. Pourquoi une telle défiance envers les vaccins ? Que leur reproche-t-on ?

Vaccin contre l’hépatite B et sclérose en plaques

Comme le rappelle l’OMS, dans les années 1990, plusieurs cas signalés ont donné à penser que le vaccin contre l’hépatite B pouvait être associé à des cas de sclérose en plaques (SEP). Et lorsqu’en 1998, face à l’inquiétude, le ministère français de la Santé a provisoirement suspendu le programme de vaccination des adolescents contre l’hépatite B dans les collèges, l’opinion publique y a vu une condamnation de la vaccination anti-hépatite B. La méfiance est restée. Et ce même si « les études épidémiologiques » menées dans plusieurs pays « ne confirment pas l’existence » d’un tel lien.

Alors oui, le 21 juin dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a bien reconnu un lien de causalité entre le vaccin contre l’hépatite B et la survenue d’une sclérose en plaques chez un homme vacciné en 1998. Mais il y a une subtilité : cette décision, rendue dans le cadre de la loi sur les produits défectueux, se base sur un « faisceau d’indices graves, précis et concordants ». En l’occurrence, « la proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie, l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux […] ainsi que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations ». Une décision juridique, mais qui n’est ni médicale ni scientifique. Car comme le précise l’arrêté de la CJUE, il n’existe pas « de consensus scientifique » sur le sujet. D’ailleurs, fin juin 2016, après 17 ans d’enquête sur les liens de cause à effet entre le vaccin anti-hépatite B et la SEP, le parquet de Paris a requis un non-lieu. Et très peu de personnes ont été indemnisées.

Dans une vidéo publiée sur Facebook le 13 juillet et devenue virale depuis, Baptiste Beaulieu, médecin généraliste et écrivain, essaie lui aussi de modérer cette crainte. S’il admet avoir trouvé « que dans les années 1990, la campagne de vaccination contre l’hépatite B a bel et bien été suivie d’une augmentation du nombre de cas de SEP », il s’agit selon lui de ce « qu’on appelle un argument de temporalité ».

« Devinez ce qui a fait son entrée dans les années 1990 dans les hôpitaux ? L’imagerie par résonance magnétique (IRM). Et qu’est-ce qu’on fait avec une IRM qu’on faisait beaucoup moins bien avant ? On diagnostique des SEP qui sinon seraient passées à la trappe »

Faut-il s’inquiéter de la présence d’aluminium comme adjuvant ?

Environnement, alimentation, cosmétiques, produits pharmaceutiques… L’aluminium a envahi nos vies. Sous forme de sels, il est utilisé comme adjuvant dans beaucoup de vaccins autorisés en France afin d’augmenter leur efficacité, comme le rappelle la revue médicale indépendante Prescrire, qui avait notamment alerté sur les dangers du Mediator dès 1997. Problème, ces dernières années, de plus en plus d’études pointent les risques des sels d’aluminium pour la santé.

Et « dire que l’aluminium est un bon adjuvant, que sans lui la réaction immunitaire et donc immunisante se fait beaucoup moins bien, ça ne suffit pas à rassurer les gens », relève Baptiste Beaulieu. « Mais si je vous disais que les quantités d’aluminium apportées par les vaccins sont faibles (jamais plus de 0,85 mg) par rapport aux apports quotidiens d’aluminium dans l’organisme », tempère-t-il dans sa vidéo. « Nous en mettons 3 à 5 mg dans notre corps chaque jour en mangeant et en buvant. »

Alors ? Dangereux ou pas ? Comme l’écrit Prescrire, « l’injection intramusculaire des vaccins contenant un adjuvant à base d’aluminium expose à la survenue d’une lésion musculaire localisée, avec présence de macrophages renfermant des inclusions de sels d’aluminium, dénommées « myofasciites à macrophages ». Une sorte de « tatouage » laissé par la vaccination, résume l’OMS. « Cependant, début 2015, au vu des données publiées, il n’est pas établi d’association entre la présence de cette lésion et un syndrome clinique spécifique » tel que : sensation de fatigue, arthralgies (douleurs articulaires), myalgies (douleurs musculaires), asthénie (fatigue physique), troubles du sommeil etc. « Cette lésion n’est donc pas un élément décisif dans la balance bénéfices-risques des vaccins », conclut Prescrire. D’autant que l’on ignore si l’on trouverait aussi cette lésion chez les personnes ayant reçu un vaccin contenant des sels d’aluminium mais qui sont en parfaite santé.

Vaccination et autisme 

L’association Autisme Vaccination, à l’origine de l’action de groupe qui sera lancée en septembre devant le tribunal de grande instance de Paris, tient la vaccination pédiatrique pour responsable de l’augmentation des cas d’autisme chez les enfants. Elle met en cause le thiomersal, conservateur contenant du mercure, qui a été retiré par précaution des vaccins en 2000 par les autorités de santé. Toutefois, comme le souligne l’OMS, « il n’existe aucune donnée probante attestant que la quantité de thiomersal utilisée dans les vaccins représente un risque pour la santé. »

Il existe bien une étude qui fait ce lien. Publiée en 1998, elle a été réalisée par un médecin anglais, Andrew Wakefield, également à l’origine du documentaire « Vaxxed », et prétend que le vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole) serait responsable de troubles autistiques. Sauf que ce médecin a été reconnu coupable de fraude scientifique en 2010, son étude a été invalidée et il a été radié par l’équivalent britannique de l’Ordre des médecins. « Il était de mèche avec un cabinet d’avocat qui avait bien l’intention d’attaquer le labo qui fabriquait les vaccins, afin de toucher de l’argent », complète Baptiste Beaulieu.

Trop de vaccins d’un coup ?

Entre les vaccins polyvalents (contenant plusieurs sous-types d’un même virus ou bactérie) et les vaccins combinés (qui protègent contre plusieurs infections ou maladies, comme le ROR), certains parents ont l’impression de bombarder leur enfant. Mais selon l’OMS, lors de l’administration d’un vaccin, le système immunitaire de l’enfant est moins sollicité que « lors d’un rhume banal ou d’une affection de la gorge qui l’exposent à un nombre d’antigènes beaucoup plus important. » Sans compter que cela signifie aussi moins d’injections et de visites chez le médecin.

Les laboratoires feraient-ils de l’argent sur le dos des enfants ?

C’est l’une des accusations les plus répandues. Elle a été aggravée par la révélation de liens entre certains promoteurs de la vaccination et les industriels du secteur, par exemple pour le vaccin contre le papillomavirus. Mais dans les faits, s’il est vrai que le secteur du vaccin est détenu par peu d’acteurs (moins de dix), dont deux, GSK et Sanofi Pasteur, en représentent 50 %, il ne pèse que 2 % du marché du médicament, rappelle Sciences et Avenir.

Un reproche peut toutefois être fait aux laboratoires. Depuis 2008, les trois seuls vaccins obligatoires en France (DTP : diphtérie, tétanos et poliomyélite) sont quasiment introuvables seuls. Il est pratiquement impossible de se les procurer sans qu’ils ne soient accompagnés par un vaccin contre la coqueluche, l’Haemophilius influenza et l’hépatite B. Comment faire lorsqu’une famille veut seulement respecter l’obligation légale ? Sans compter qu’ils sont vendus plus chersA tel point que le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, a donné au ministère de la Santé jusqu’au 8 août pour prendre des mesures visant à rendre disponibles les trois seules vaccinations obligatoires en France. Un délai impossible.

En rendant obligatoires huit des vaccins recommandés (lire ci-dessous), le gouvernement règle en quelque sorte le problème. Quitte à donner l’impression de faire un cadeau aux laboratoires ? « Mettre des limites aux grandes firmes pharmaceutiques serait-il devenu impossible ?« , questionne dans Libération un collectif de parents d’enfants en bas âge.

« Sinon, comment expliquer qu’une ministre de la Santé préfère rendre obligatoires les vaccins commercialisés par lesdites firmes plutôt que de leur imposer de commercialiser ceux qui sont obligatoires »

Si le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) estime pour sa part que ces vaccins pour l’heure « seulement recommandés sont les plus importants de la petite enfance », il juge « pour le moins paradoxal de prétendre rétablir la confiance de la population par la contrainte ». Le risque ? Que l’obligation renforce les postures anti-vaccination.

« Les maladies et les accidents qui surviennent habituellement entre 0 et 2 ans, par exemple la mort subite, l’autisme, les allergies ou les maladie rares, risquent d’être attribués aux vaccins. Et quand une affaire sera portée en justice, au niveau français ou au niveau européen, la jurisprudence permet de prédire que l’Etat (toujours solvable) sera condamné en dépit de l’absence de lien de cause à effet, induisant toujours plus de confusion dans l’esprit des citoyens »

Comment fonctionnent les vaccins ?

Comme l’explique l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la vaccination permet d’immuniser une personne contre une infection ou une maladie en la simulant. Pour ce faire, on administre à un individu en bonne santé une forme atténuée, partielle ou inactivée d’un agent infectieux. Le corps détecte alors cette substance étrangère et se défend en développant des cellules immunitaires « mémoires », capables de reconnaître immédiatement l’agent pathogène s’il venait à l’infecter par la suite.

« Il est établi que la vaccination permet de combattre et d’éliminer des maladies infectieuses potentiellement mortelles et on estime qu’ainsi plus de 2 à 3 millions de décès par an sont évités », selon l’OMS.

« Parfois, après un vaccin, l’infection simulée risque de générer l’apparition de légers symptômes, comme de la fièvre », prévient tout de même le ministère de la Santé. « Ces légers symptômes sont un phénomène normal et il faut s’y attendre lorsque le corps construit une immunité ». Par ailleurs, « le corps a généralement besoin de plusieurs semaines pour produire les cellules », une personne contaminée par une maladie immédiatement après un vaccin ou très peu de temps après peut donc en développer les symptômes. D’où l’intérêt de s’y prendre à l’avance.

Quels sont les vaccins obligatoires en France ?

En France, pour l’heure, il n’est obligatoire d’être vacciné que contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), ainsi que la fièvre jaune pour entrer en Guyane. Mais à partir de 2018, comme l’a annoncé mi-juin la ministre de la Santé Agnès Buzynhuit autres vaccins, qui ne sont actuellement « que » recommandés, devraient aussi devenir obligatoires : coqueluche, rougeole, oreillons, rubéole, hépatite B, bactérie Haemophilus influenzae (à l’origine de méningites et d’infections respiratoires aiguës), pneumocoque (otites, sinusites et pneumonies), méningocoque C.

Pourquoi ? Car ces maladies ne constituent pas de simples « désagrément de la vie », mais sont graves, rappelle l’OMS. « Elles peuvent entraîner de sérieuses complications », voire, « la mort ». Mais aussi parce que si les maladies évitables par la vaccination sont devenues rares dans de nombreux pays, elles continuent à circuler dans d’autres et ne s’arrêtent pas aux frontières. Ainsi, « en Europe par exemple, depuis 2005, des flambées de rougeole ont frappé les populations non vaccinées en Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Suisse et Royaume-Uni », souligne l’OMS.

Mais pour l’heure, la défiance envers la vaccination semble de plus en plus ancrée dans notre pays. En 2016, une étude conduite dans 67 pays a même conclu que la France était même le pays où l’on s’interroge le plus sur la sécurité des vaccins.

« Jusque dans les années 1980, on voyait des gens boiter à cause de la polio et on avait en mémoire les dommages causés par les maladies infectieuses », décrypte pour L’Obs Jocelyn Raude, sociologue à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé publique (EHESP).

« Cette méfiance actuelle à l’encontre des vaccins va s’amplifier jusqu’au retour des épidémies. Là, nous assisterons à un mouvement de balancier : les gens se feront à nouveau vacciner » 

Sud Ouest 26/07/2017