Lecture : pourquoi Jean-Michel Blanquer veut revenir à la méthode syllabique

Fort de diverses études de chercheurs en sciences de l’éducation et en neurosciences, le ministre de l’Éducation souhaite que les enseignants utilisent les méthodes les plus efficaces.

Le ministre de l’Éducation a choisi son camp dans l’éternelle querelle sur les méthodes de lecture. À propos de cet enseignement, Jean-Michel Blanquer a précisé dans L’Obs  : «On s’appuiera sur les découvertes des neurosciences, donc sur une pédagogie explicite, de type syllabique, et non pas sur la méthode globale, dont tout le monde admet qu’elle a des résultats tout sauf probants.» La méthode syllabique – fondée sur le déchiffrage des lettres, le fameux B.A.-BA – serait plus performante que la méthode «mixte» semi-globale, majoritaire aujourd’hui, qui privilégie une entrée dans l’écrit par le «sens», partant des mots pour aller vers les lettres.

Recherche scientifique

Le ministre s’appuie volontiers sur les conclusions du neuroscientifique Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France. Grâce à l’imagerie cérébrale, ce dernier a pu démontrer l’inefficacité de la méthode globale pure, expérimentée dans les années 1980. C’est l’hémisphère droit du cerveau qui s’active pour la lecture globale, alors que l’attention portée aux lettres active une autre région. «Autrement dit, l’apprentissage par la méthode globale mobilisait un circuit inapproprié», indique-t-il. S’agit-il pour autant simplement d’ânonner des syllabes pour apprendre? Pas si simple.

À 10 ans, selon les statistiques du ministère, de nombreux enfants décodent correctement… sans comprendre ce qu’ils lisent. Reste que le «décodage» doit tenir une place importante en CP. «L’automatisation de la reconnaissance des mots nécessite des exercices systématiques de liaison entre les lettres et les sons et ne saurait résulter d’une mise en mémoire de la photographie de la forme des mots qui caractérise les approches globales de la lecture», tranchait en 2006 le ministre de l’Éducation Gilles de Robien dans une circulaire. Ce dernier s’appuyait (déjà) sur la recherche en neurosciences pour imposer son texte, après un débat politico-médiatique haut en couleur.

Répétition et déchiffrage

C’est à cette époque que Stanislas Dehaene, consulté par le ministre, s’était fait connaître. Il avait également rencontré un certain Jean-Michel Blanquer, directeur adjoint du cabinet du ministre Robien. De fait, tous deux restent attentifs à cette thématique. Dehaene s’exprime régulièrement sur cette question. Il défendait en 2014 le travail du sociologue Jérôme Deauvieu qui avait évalué 446 élèves de 23 classes de ZEP en 2013. La majorité des enseignants (77 %) y avaient adopté l’un des 23 manuels d’une méthode mixte, associant méthode syllabique et méthode globale (Abracadalire, Gaffi, Ratus…). Seuls 4 % avaient adopté la méthode syllabique (Léo et Léa, Je lis, j’écris). Pourtant l’enquête montre que ce sont les manuels de méthode syllabique qui réussissent le mieux à ces enfants: on compte 19 points de réussite supplémentaires sur 100 aux épreuves de lecture et de compréhension.

De son côté, Jean-Michel Blanquer salue le travail de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, professeures des universités de Bourgogne et de Paris-Est. Après trois ans passés auprès de 200 élèves de CP, elles ont conclu en 2015 que les méthodes étaient trop intellectuelles, inadaptées aux élèves les plus faibles. La recette, selon elles: la répétition et un apprentissage plus explicite. Certes, plus personne n’utilise la méthode globale et les professeurs débutent toute de suite par du déchiffrage «mais il y a aussi souvent des mots à mémoriser alors que beaucoup d’enfants n’ont pas encore développé une mémoire suffisante pour le faire ce qui les conduit à l’échec.»

Quelle est la solution? Sans trancher entre les méthodes, une étude de 2016, menée auprès de 1500 enfants par 60 chercheurs de l’Institut français de l’éducation (Ifé) concluait qu’il était, bien sûr, nécessaire de «décoder». Mais qu’il fallait aussi lire à haute voix et «encoder», c’est-à-dire écrire des sons à l’écrit. Enfin, l’apprentissage de la lecture ne doit pas se limiter au CP mais se poursuivre tout au long des classes de CE1 et CE2, insistait-elle. Autant de pratiques qui restent à mettre en œuvre dans les classes.

Le Figaro 25/08/2017