Dialogue social, un texte qui sacrifie les femmes ?

Selon des associations féministes, le projet de la loi sur le dialogue social prévoit de supprimer l’obligation pour les entreprises d’établir un rapport de situation comparée sur les écarts entre les hommes et les femmes au travail. Un outil qu’elles jugent indispensable pour lutter contre ces écarts

Le gouvernement a-t-il sans le dire renoncé à ses ambitions sur l’égalité salariale, au nom de la simplification des obligations faites aux entreprises ? Ou s’agit-il simplement – si l’on peut dire –, d’une erreur ? Lundi 11 mai en tout cas, un collectif de personnalités féministes a lancé une campagne contre le projet de loi « dialogue social » de François Rebsamen, attendu le 20 mai à l’Assemblée nationale. Selon elles, le texte supprime du code du travail plusieurs outils nécessaires pour avancer sur l’égalité professionnelle.

UNE PÉTITION SIGNÉE PAR YVETTE ROUDY

« Avec ce texte de loi, le gouvernement envoie un message clair : l’égalité ? C’est réglé, circulez, il n’y a rien à voir », proteste une pétition sur la plate-forme change.org.

Parmi les 100 premiers signataires figure Yvette Roudy, première ministre des droits de la femme, qui fit voter la loi du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle femmes-hommes. Les initiatrices de la campagne, parmi lesquelles Caroline de Haas, ancienne conseillère de Najat Vallaud-Belkacem au ministère des droits des femmes, vont aussi interpeller le ministre du travail François Rebsamen sur les réseaux sociaux. Elles prévoient de rassembler toutes leurs actions sur le site egalite.paritemaintenant.fr.

LA MESURE DES INÉGALITÉS MENACÉE DE DISPARITION

Au cœur du mécontentement : la réécriture de deux articles du code du travail, qui, dans un souci de simplification des négociations imposées aux entreprises, font disparaître la mention du « rapport de situation comparée » (RSC). Institué par la loi Roudy de 1983, cet outil oblige les entreprises de plus de 300 salariés à établir un diagnostic de l’égalité hommes-femmes dans l’entreprise (salaires, accès à la formation, temps partiel, déroulement de carrière…).

« À la place du RSC, qui avait le mérite d’établir un diagnostic portant sur 27 critères, explique Caroline de Haas, il est prévu que les entreprises compilent une série de données, dont celles sur l’égalité salariale, dans une base de données unique transmise au comité d’entreprise. Mais ces données ne sont plus définies par la loi. Nous craignons donc d’aboutir à une invisibilité des écarts. Or tous ceux qui travaillent sur ces questions savent très bien que sans chiffres précis sur ces écarts, il est très difficile de faire bouger les entreprises. »

VERS LA FIN DES PÉNALITÉS FINANCIÈRES ?

Pourtant, il reste du travail à faire. D’après une récente étude de la Dares, en 2012, le salaire moyen des femmes dans le secteur privé et les entreprises publiques, en équivalent temps plein, est de 18,8 % inférieur à celui des hommes.

> À lire : Femmes et hommes sur le marché du travail (Dares, mars 2015)

Caroline de Haas craint aussi que la suppression du RSC rende impossible l’application de la pénalité financière (allant jusqu’à 1 % de la masse salariale) à l’encontre des entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité, rendue effective par un décret pris par le gouvernement socialiste à la fin 2012.

Fin mars 2015, 48 entreprises avaient ainsi été sanctionnées. « Le plus incroyable est que le gouvernement supprime cet outil alors même que c’est lui qui avait permis, par ce décret de fin 2012, qu’il puisse produire ses effets », poursuit Caroline de Haas.

> À lire : 1 500 entreprises mises en demeure, 48 sanctionnées

UN AVIS DÉFAVORABLE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Les signataires s’élèvent aussi contre l’intégration de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle, datant de 2001, à la négociation « qualité de vie au travail », et contre la suppression de la commission égalité professionnelle, obligatoire dans les entreprises de plus de 200 salariés.

Elles s’appuient sur un avis encore confidentiel du Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle (CSEP) qui doit être remis lundi 11 mai à la secrétaire d’État aux droits des femmes, Pascale Boistard. Cet avis fait état de « très fortes réserves », « voire d’une condamnation explicite du projet de loi de la part des organisations syndicales et des personnalités qualifiées ».

UN CONTRE SIGNAL EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Les féministes ont également rendu publique une lettre adressée par Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, à François Rebsamen, dans laquelle elle exprime ses « vives inquiétudes ». La disparition de cet « outil crucial » pour rendre visibles les inégalités femmes-hommes serait à ses yeux un « contre-signal en matière d’égalité professionnelle », explique l’ancienne députée socialiste. Elle estime elle aussi que « la rédaction actuelle du projet de loi laisse planer un doute sérieux » sur l’application effective des sanctions instaurées fin 2012.

> À lire : la lettre de Danielle Bouquet à François Rebsamen

LA COPIE CORRIGÉE PAR AMENDEMENT ?

Le gouvernement compte-t-il corriger sa copie ? C’est ce que semble laisser entendre le secrétaire d’État PS à la simplification Thierry Mandon, interrogé lundi par iTélé : « Si c’est le cas, j’imagine que les parlementaires vont corriger cela, car je ne vois pas une seconde que ce soit l’intention de François Rebsamen ». Selon Le Parisien, une réunion « en forme d’opération déminage » est prévue lundi 11 mai après-midi entre Pascale Boistard et le cabinet Rebsamen. Le ministère du travail n’était pas lundi matin en mesure d’infirmer ou de confirmer cette information.

En attendant, les associations féministes restent prudentes. Car Matignon serait, semble-t-il, défavorable à une telle correction. Selon nos informations, dans un courrier envoyé à la fois au ministère du travail, favorable à la disparition du RSC par souci de simplification pour les entreprises, et au ministère des affaires sociales, qui plaide pour son rétablissement par amendement parlementaire, Matignon aurait déjà indiqué son souhait de résister à toute tentative de réintroduire ce qui a été supprimé.

  • Nathalie Birchem (avec AFP) La Croix (11/05/2015)