La flexibilité, clef d’une économie britannique qui a rebondi

L’austérité n’a pas été un sujet clivant des élections britanniques : les deux principaux partis, conservateurs et travaillistes, s’accordaient sur la nécessité de continuer à réduire l’endettement de l’Etat.

Ce consensus mou – le désaccord portait sur le « comment », par sur le « pourquoi » – permet d’ouvrir d’autres débats, tels le recul du pouvoir d’achat ou le déficit de productivité de l’économie comparée à celle de ses partenaires européens. Ces deux phénomènes sont une conséquence indirecte du « double miracle » britannique : le chômage n’a jamais dépassé 8,5 % de la population active, même au plus fort de la récession ; et sa baisse depuis près de deux ans a été spectaculaire. Y-a-t-il des leçons à tirer ?

Le nombre de chômeurs n’a jamais dépassé 2,7 millions, même au plus fort de la crise et sa décrue a vu le taux passer de 7,8 % en mai 2013 à 5,6 % en février 2015. La baisse continue. Il faut se pencher sur la flexibilité du marché du travail pour comprendre ce phénomène. J’entends par « flexibilité » la vitesse à laquelle une entreprise peut s’adapter au changement économique en variant son volume de main-d’œuvre.

Dans un pays où les services représentent 80 % du produit intérieur brut (proportion comparable à la France, avec population et économie très proches aussi), les collaborateurs représentent la force vive, mais aussi la principale charge des entreprises. Un salarié sous-occupé met en péril la profitabilité, voire la survie de l’entreprise.

Accords informels

Bien des acteurs de l’économie britanniques ont donc conclu des accords informels salariés-entreprises pour que les premiers acceptent de réduire leurs horaires face à une activité ralentie, en alternative au licenciement économique. Les salariés ont ainsi accepté de réduire leur temps de travail à 5, 4, voire 3 jours par semaine, avec réduction de salaire proportionnelle.

L’autre phénomène important a été le gel des augmentations de salaires. Le redémarrage de l’économie depuis deux ans voit ces accords inversés, les salariés repassant progressivement au temps plein lorsque l’activité économique le permet. Les entreprises et l’économie du pays y gagnent des collaborateurs qui ont continué à être des acteurs impliqués, et les entreprises font l’économie des frais directs et indirects de débauche et de réembauche.

Les employés pour leur part ont conservé une activité salariée, alors qu’ils pouvaient faire face au chômage. Autre effet positif : on redémarre beaucoup plus vite une activité (entreprise ou pays), lorsque les salariés n’ont jamais quitté leur poste – moins d’effet de traîne de réembauche/formation/montée en puissance, qui retarde d’autant le retour au fonctionnement à plein régime.

L’élément absent de ce renversement de situation est le rattrapage des salaires, largement stagnants pendant la récession. Ils commencent seulement à évoluer à la hausse depuis quelques mois.

Indemnités de chômage faibles, motivation puissante

La période récente a aussi vu la floraison d’autoentrepreneurs, qui « vendent » leurs prestations aux entreprises, comme alternative au salariat. La faiblesse des allocations-chômage est ainsi une puissante motivation pour retrouver une activité, même si elle n’est pas salariée – le chômeur britannique touche l’équivalent de quelque 260 euros par mois, pendant 6 mois, quel qu’ait été son salaire précédent.

Flexibilité ne veut pas dire salarié sans aucune protection, face à des entreprises se livrant à des coupes sauvages sans aucun contrôle. Le salarié britannique bénéficie d’une protection juridique réelle, dont il use largement.

Tout n’est pas résolu. Le Royaume-Uni est loin d’être un paradis :

– Érosion du pouvoir d’achat des classes moyennes depuis 7 ans, mouvement qui commence seulement à être inversé ;

– Productivité en berne ;

– Le « North-South Divide » (richesse au sud, pauvreté au nord) est loin d’être solutionné car la reprise n’est pas géographiquement uniforme – la ville planète Londres est de plus en plus détachée du reste du pays ;

– La multiplication des Food Banks, version XXIe siècle de la soupe populaire ;

– Le contrat de travail zéro heure, s’il permet une grande flexibilité pour l’entreprise et le salarié, bienvenue dans un marché de plein-emploi où ces acteurs sont sur un pied d’égalité, peut-être sujet à abus.

« Il vaut mieux un peu de travail… »

Dans la durée, et malgré la perfectibilité de la société britannique à bien des égards, l’approche du Royaume-Uni a le mérite de conserver le maximum de salariés au travail et d’encourager ceux qui le perdent à se prendre en main par la voie de l’auto-entrepreneuriat. En 2010, le gouvernement s’était fixé l’objectif que le secteur privé puisse créer des emplois pour remplacer ceux du secteur public, amenés à disparaître suite à la cure d’austérité budgétaire. Le pari semble tenu : le pays a créé 1,8 million d’emplois en 5 ans – même si la définition du mot « emploi » amène à être réexaminée.

La flexibilité – du droit social et de tous les acteurs économiques – est une des clefs de la résilience de la société britannique face au chômage. Assurer aux entreprises de pouvoir ajuster leur niveau de main-d’œuvre aux conditions du marché, dans un cadre juridique souple, qui assure également la protection des salariés, est certainement une explication de la capacité de rebond plus rapide de l’économie britannique, qui le démontre en ce moment même.

Le dernier mot appartient à Peter Hartz, l’artisan de la réforme du marché du travail allemand post-réunification : « Il vaut mieux un peu de travail que pas de travail du tout ».

Olivier Morel (Avocat à la Cour, Solicitor of the Senior Courts of England and Wales, président de la Section Royaume-Uni des conseillers du Commerce extérieur de la France

  •  Le Monde (11/05/2015)