Dans la jungle des faux commentaires

On les trouve partout. Sur TripAdvisor, Amazon, Facebook, YouTube et dans les blogs. Souvent difficiles à repérer, les faux commentaires encensent un restaurant, critiquent un produit ou renvoient vers un site en quête de visibilité. La pratique, illégale en France, est courante  : 28,8  % d' »  anomalies   » en matière d’avis de consommateurs ont été repérées par la Direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF) entre 2010 et 2013. Un chiffre qui monte à 45  % pour la seule année  2013. Qui sont les personnes qui les rédigent  ? Celles qui les publient  ? Celles qui les commandent  ?

Les commanditairesLa pratique est vieille comme le Web et très artisanale  : le faux commentaire est, au départ, une affaire de famille. L’avis positif que le commerçant publie lui-même, sous une fausse identité, sur la page Yelp concernant sa boutique. L’avis négatif que sa famille ou ses amis écrivent, à l’inverse, pour couler le concurrent du coin de la rue.  »  Ce sont plutôt les petites structures qui ont tendance à truquer. Ce business est, par exemple, très présent dans le tourisme  « , explique Andreas Munzel, chercheur au Centre de recherche en management de Toulouse et spécialiste du sujet.

Sur un site permettant d’embaucher des rédacteurs de faux commentaires, nous avons, par exemple, repéré une boutique de cigarettes électroniques située à Chambéry (Savoie) en quête d’un «   avis honnête   » sur Google+. Une précaution pour éviter de se faire épingler pour faux commentaire  ? La probabilité qu’un véritable client de cette boutique consulte cette annonce est en effet infime…

Contacté par téléphone, le directeur du magasin assure ne pas être au courant de cette pratique. Il désigne un prestataire  »  asiatique  « , chargé du référencement du site Web de la boutique, avec qui il travaille depuis que celui-ci l’a démarché,  »  il y a des années  « .

Les commerciauxCes prestataires sont souvent des agences d’e-réputation.  »  Une partie d’entre elles propose des faux avis, mais ce service est un peu caché  « , révèle M.  Munzel. En général, elles n’affichent pas officiellement ce type de prestation illégale,  »  elles préfèrent contacter directement les entreprises  « . D’autres, en revanche, ne s’embarrassent pas de complexes. C’est le cas du français Acheter-des-fans.com, dont l’activité principale consiste à vendre des fans sur Facebook et des followers sur Twitter. Une activité  »  borderline  « , reconnaît Yannick Deslandes, responsable du site.  »  Mais les faux commentaires, c’est un cran au dessus  !  « 

Et pourtant, depuis le début de l’année, cette activité fait aussi partie de ses prestations.  »  En général, ils m’achètent entre dix et vingt  commentaires  « , qu’ils rédigent eux-mêmes. La dizaine est facturée près d’une centaine d’euros. Parmi les demandeurs, il compte  »  beaucoup d’agences de communication  « . Mais, admet-il,  »  je ne sais pas si le client final est au courant…  «  Avec cette activité, il gagne  »  le salaire d’un bon informaticien  « , assure-t-il, sans vouloir préciser davantage.

Les intermédiaires Mais les prestataires de faux commentaires ne se parent pas toujours du voile de respectabilité d’une agence d’e-réputation. Ils opèrent aussi sur certains forums, de véritables places de marché, où se croisent acheteurs et vendeurs de commentaires en masse.

Sur l’un d’entre eux, nous sommes entrés en contact avec  »  AmazonSEO  « , comme il se fait appeler en ligne. A grand renfort de texte gras, jaune et rouge sur fond noir, il affiche ses services  :  »  Ce que nous proposons  : des avis Amazon de qualité rédigés par des Américains. Nous disposons d’un réseau sain de vrais profils. Plus de 200  membres premium, et 200  membres classiques.  « 

Il détaille ensuite ses prix, du  »  starter pack   » (10  avis pour 100  dollars, soit 91,30  euros) au  »  gold pack   » (100  avis pour 1  000  dollars).  »  Je suis moi-même vendeur sur Amazon, et j’ai régulièrement besoin d’avis sur mes produits. C’est pourquoi j’ai décidé de créer un réseau de personnes ayant des comptes sur Amazon.  «  Il affirme gagner entre 2  000  et 5  000  dollars mensuels – un chiffre impossible à vérifier.

Les petites mainsMais tout au bout de la chaîne, qui sont, in fine, ces personnes qui publient ces faux commentaires  ? Quand Yannick Deslandes reçoit les commentaires rédigés par ses clients, il les transmet à son  »  technicien  « , comme il l’appelle. Un Bangladais, qu’il n’a jamais rencontré et dont il affirme ne rien connaître des méthodes  :  »  On en trouve à la pelle, des gens comme ça. Il y a certainement des petites mains du Bangladesh derrière.  « 

Ces  »  petites mains   » publient en masse, pour quelques centimes, des commentaires sur Facebook, Google, TripAdvisor ou encore Yelp. Des sites, comme Microworkers, permettent de mettre en relation ces personnes, souvent d’origine indienne ou bangladaise, avec des  »  employeurs  « .

Il existe néanmoins aussi des rédacteurs dans les pays riches. Eux monnaient leurs services bien plus cher, car les comptes  »  réels   » sont de plus en plus recherchés, d’autant plus s’ils sont localisés aux Etats-Unis ou en Europe.

En traînant ses guêtres sur certains forums, Vincent, un jeune Américain de 19  ans, répond ainsi à des petites annonces.  »  La première fois que j’ai été payé pour écrire un avis, j’ai réalisé à quel point c’était un moyen facile de se faire de l’argent de poche  « , explique-t-il sur Skype, sous couvert d’anonymat. Ses commentaires sont rémunérés  »  2 à 12  dollars  « . Un job  »  en plus   » de son travail à temps plein, qui, selon lui, ne lui rapporte  »  pas beaucoup  « .

  • Morgane Tual Le Monde 02/06/2015