L’Internet des objets devient un big business

INTERNET Les chiffres donnent le vertige. Il devrait y avoir 50  voire 85, voire 1 000 milliards d’objets connectés dans le monde d’ici à 2020, pour un chiffre d’affai­- res de 1 700 milliards de dollars !

L’Internet des objets, popularisé depuis deux ans par des gadgets comme un thermostat ou une montre connectée, bascule aujourd’hui dans une autre dimension. La situation rappelle celle des débuts de l’Internet au milieu des années 1990. C’est un nouvel âge qui s’ouvre et tous les acteurs ; start-up innovantes, champions de la technologie, énergéticiens, assureurs et même les élus locaux qui veulent faire de leurs villes des « smart cities », se ruent dans la brèche.

Un nouvel écosystème se met en place et les grandes manœuvres commencent tout juste. En rachetant Altera, la semaine dernière, pour 16,5 milliards de dollars, le leader mondial des semi-conducteurs Intel veut se relancer dans la course après avoir raté le marché du mobile. En déboursant 3,2 milliards de dollars pour le thermostat connecté de Nest, Google met un pied dans la chasse gardée des grands fournisseurs d’énergie comme EDF ou Engie.

Mardi 2 juin, le Nasdaq a lui aussi innové en acceptant que Fitbit, le champion américain des objets connectés, puisse lever près de 500 millions de dollars sur le marché boursier américain. Ce sera la première introduction au Nasdaq d’un acteur issu de l’Internet des objets et il sera valorisant à plus de 3 milliards de dollars.

Qui aurait cru il y a encore deux ans que le podomètre ou la lampe connectée seraient des objets high-tech ? Potentiellement, tout peut être connecté. Des objets présents dans une maison, une voiture, des lampadaires dans une ville, des autoroutes, des machines-outils, des rails de chemin de fer…

Tous les domaines de l’économie sont concernés et tous les modèles économiques traditionnels sont menacés de disparition. « La connexion à Internet va devenir une composante de tous les objets », souligne Fred Potter, le patron et fondateur de Netatmo. « Il y aura des Kodak, de grandes entreprises qui vont rater la marche et disparaître », prévient-il.

Certains ont déjà commencé leur mutation. General Electric. Aujourd’hui, tous ses moteurs d’avion sont connectés et à chaque atterrissage, l’industriel reçoit des données, destinées à optimiser le fonctionnement de ses engins et surtout à anticiper les pannes. Michelin ne facture déjà plus ses pneus poids lourds à l’achat, mais le nombre de kilomètres parcourus. « Les entreprises industrielles ne fourniront plus un équipement, mais un service », résume Franck Moine, en charge de l’Internet des objets chez Bouygues Telecom. Même le monde des services est concerné. En Italie, l’assureur Generali propose d’intégrer des capteurs aux voitures. Les bons conducteurs bénéficient de remises sur leurs primes d’assurance.

Cette révolution des usages conduit à une redistribution des cartes. Des start-up, parties en avance, sont à même de concurrencer les grands groupes. À ce petit jeu, la France fait la course en tête. Dans le domaine des drones, Parrot est incontournable, comme Netatmo avec ses stations météo connectées, la montre connectée de Withings ou encore AwoX, précurseur des ampoules connectées. « La prochaine génération d’objets connectés sera dotée d’intelligence artificielle. La force de la France, ce sont ses ingénieurs et sa R & D », ajoute Fred Potter. Si l’hégémonie d’un Apple ou d’un Samsung est loin d’être menacée, ces derniers doivent réagir.

Batailles dans les réseaux

Mais pour que les objets communiquent, il faut installer de nouveaux réseaux, comme cela a été fait pour l’Internet première génération. Une gigantesque bataille se dessine dans les télécoms avec l’arrivée de nouveaux entrants comme le français Sigfox ou le consortium LoRa, dont Bouygues Telecom est membre fondateur. Leur pari est de déployer le plus rapidement possible, un réseau mondial capable de relier 1 000 milliards d’objets là où le réseau Internet traditionnel relie seulement 3 voire 5 milliards d’individus. Ce nouveau réseau des objets doit avoir deux caractéristiques. Son coût doit être très faible : à peine quelques centimes pour relier un objet, et il doit fonctionner en permanence si on veut lui confier la sécurité d’une ville, d’un TGV ou d’un réseau électrique.

L’Internet des objets a aussi besoin d’un langage commun pour communiquer. Microsoft a, en son temps, imposé le sien dans le monde des PC. Google a imposé le sien dans le monde du mobile. Aujourd’hui, plus d’une vingtaine d’acteurs, dont Google, Apple Microsoft et Huawei, cherchent à être le champion des objets. Comme dans les smartphones, il aura probablement plusieurs réponses. Mais seuls deux ou trois systèmes seront ­viables.

« Le marché décollera en 2017, quand il y aura des infrastructures télécoms, un système d’exploitation ainsi qu’une véritable capacité à traiter les données », résume Xavier Lorphelin, associé chez Serana ­Capital. Cette réorganisation devra se faire dans le respect de la vie privée et des données personnelles. Un combat qui s’annonce aussi politique qu’économique.

Le Figaro 04/06/2015