Dans la Silicon Valley, l’économie dite « à la demande » (appelée aussi « l’Uber-économie ») a le vent en poupe. Nombreuses sont les start-up qui tentent de répliquer le succès d’Uber sur d’autres marchés. Courses, restaurant, ménage, linge, parking… Tout est désormais accessible depuis un simple site Web ou une application mobile. Les investisseurs affluent pour financer ces jeunes pousses. Selon le cabinet CB Insights, elles ont ainsi levé près 8 milliards de dollars l’an dernier.
SIGNAL D’ALARME
Pourtant, un échec pourrait bien servir de signal d’alarme. Vendredi 31 juillet, Homejoy, une plate-forme de ménage à domicile, va fermer ses portes. Fondée il y a trois ans à San Francisco, la société est passée par Y Combinator, l’un des plus prestigieux incubateurs de la région. En 2013, elle avait levé 40 millions de dollars (36,5 millions d’euros), notamment auprès de Google Ventures, la branche d’investissements du moteur de recherche, et du fonds de capital-risque Andreessen Horowitz.
La chute de Homejoy a été précipitée par quatre actions en justice. Comme Uber, l’entreprise s’est construite sur le recours à des travailleurs indépendants, ce qui lui permet de fortement limiter ses coûts (pas de salaire fixe, pas de charges sociales…) et de gagner en flexibilité. Les plaintes déposées contre Homejoy réclamaient la reclassification de ces travailleurs indépendants, pour leur accorder le statut de salariés. Une perspective qui aurait totalement bouleversé le modèle économique de l’entreprise.
PRISES AU PIÈGE
A cause de ces poursuites judiciaires, Homejoy n’a pas pu procéder à un nouveau tour de table, devenu nécessaire pour poursuivre son activité. Car ses caisses étaient vides. La société était en effet fortement déficitaire. Elle perdait de l’argent sur chaque ménage réservé sur sa plate-forme. Pour attirer de nouveaux clients, elle avait aussi mené une campagne de promotion très agressive (19 dollars pour la première utilisation). Elle avait également tenté sa chance à l’international, en France notamment.
La situation de Homejoy n’est pas un cas isolé. De nombreuses start-up de la Silicon Valley reposent sur le même modèle économique. Elles se retrouvent désormais prises au piège de leur décision initiale. D’un côté, elles ont besoin de la flexibilité et des coûts limités apportés par les travailleurs indépendants. En les salariant, leurs dépenses exploseraient. Il faudrait leur garantir un salaire minimum, cotiser pour leur retraite et leur couverture santé, et leur rembourser leurs frais (essence, assurance…).
PRENDRE LES DEVANTS
De l’autre côté, ces sociétés souhaitent aussi contrôler l’expérience offerte à leurs clients. Elles veulent former leurs collaborateurs, leur imposer des règles ou des tenues vestimentaires. Or, la loi américaine interdit tout cela aux entreprises qui ont recours à des travailleurs indépendants. C’est pour cette raison qu’Uber fait l’objet d’une « class action » (action en nom collectif). Son rival Lyft, Instacart (courses), Postmates (livraison) ou encore Shyp (envoi de colis) sont aussi attaqués en justice.
Certaines start-up ont déjà décidé de prendre les devants. Fin juin, Instacart a choisi de salarier ses « personnal shoppers ». Shyp a fait de même pour ses chauffeurs. Et Luxe pour ses voituriers. Si elles acceptent de supporter ces coûts supplémentaires, c’est avant tout pour éviter de potentielles incertitudes juridiques qui pourraient remettre en cause leurs prochaines levées de fonds. Mais ces entreprises devront désormais prouver qu’elles peuvent être rentables sans leurs travailleurs indépendants.
Le Monde 30/07/2015