Un juge de San Francisco vient d’autoriser les chauffeurs californiens à mener une action de groupe. Une action qui pourrait forcer la société à leur accorder le statut de salarié et les avantages qui vont avec.
C’est une première : un juge fédéral américain vient d’autoriser des chauffeurs travaillant pour Uber à mener une action de groupe pour dénoncer leur statut de sous-traitant et réclamer celui de salarié. Même si elle n’est lancée que par trois chauffeurs de San Francisco et qu’elle n’est pas certaine d’aboutir, la procédure doit théoriquement profiter à tous ceux ayant travaillé pour Uber en Californie, et ce depuis 2009. Ils seraient 160.000 au total. Uber compte faire appel de cette décision. La société, qui sentait la menace approcher, a d’ailleurs déjà réduit les risques : elle a convaincu la plupart de ses chauffeurs de signer un nouveau contrat, dans lequel ils renoncent à leur droit de s’associer à une action de groupe, a-t-elle fait savoir mardi. Sans dévoiler de chiffres, Uber affirme ainsi que seule une minorité de chauffeurs californiens peuvent s’associer à ce recours collectif.
Il n’empêche : la décision du juge menace le coeur même de son modèle économique. Dans l’état actuel des choses, Uber suit le modèle d’une société logistique, qui met en relation l’offre et la demande de chauffeurs. Il n’a que peu de frais, puisqu’il considère son 1 million de chauffeurs comme des sous-traitants. Il n’affiche qu’un peu plus de 1.000 salariés. Uber prélève une commission auprès de ses chauffeurs, de l’ordre de 20 % à 30 %, sans leur accorder le moindre avantage social. Si l’action de groupe aboutit, Uber ne pourra plus traiter tous ses chauffeurs en sous-traitants, en tout cas en Californie. Il sera contraint de leur accorder des droits sociaux (retraite, maladie, etc.), voire une couverture de leurs frais (assurance automobile, frais d’essence, révisions chez le garagiste, etc.). Les coûts de l’entreprise pourraient donc monter en flèche. « Cela représenterait une hausse des coûts salariaux de l’ordre de 25 % à 40 % », calcule Andrei Hagiu, professeur associé à Harvard. La commission californienne du travail a déjà rendu un avis en ce sens en juin, en forçant Uber à rembourser plus de 4.000 dollars de frais à l’une de ses conductrices.
Cette action de groupe prendra plusieurs années. Mais l’incertitude pourrait refroidir les investisseurs, qui ont porté Uber aux sommets (avec une valorisation de plus de 50 milliards de dollars). L’action de groupe est d’autant plus problématique qu’elle intervient en Californie, le premier marché d’Uber. En cas de succès, elle aura des répercussions aux quatre coins des Etats-Unis : « Si nous gagnons en Californie, nous lancerons des procédures équivalentes dans tout le pays », promet Shannon Liss-Riorda, qui défendait les trois chauffeurs de San Francisco. L’initiative inquiète toutes les sociétés proche du modèle d’Uber, qu’il s’agisse de Lyft (transport de personnes) ou de Postmates (livraison de colis). Mais elle pourrait aussi fragiliser bien des sociétés de taxis qui louent elles aussi des voitures à des « indépendants ».
Les Echos 03/09/2015