Verte, intelligente et connectée: la route du futur

Qui n’a jamais protégé ses Qoreilles face au bruit assourdissant d’un marteaupiqueur sur le bitume ? D’ici à quelques décennies, les nuisances liées aux travaux routiers ne seront plus qu’un lointain souvenir. Dans la ville de demain, les routes se démonteront aussi facilement qu’un puzzle, laissant apparaître les réseaux de gaz, d’eau ou d’électricité souterrains, sans avoir à creuser de nouvelles tranchées. Les voitures se feront également plus discrètes, grâce à des textures savamment étudiées pour réduire le bruit. La durée de vie des chaussées, auparavant calibrées pour vingt à trente ans, aura également considérablement augmenté, grâce à la mise au point de matériaux plus durables.

Si ces routes plus sobres et moins énergivores ne sont pas encore une réalité, les chercheurs de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar) y travaillent. Celui-ci pilote, avec des partenaires publics et privés, un vaste programme de recherches portant sur la « Route 5  génération » (R5G) (1).

Après le chemin de terre, la voie romaine, le macadam et les autoroutes, la route de demain sera plus verte.

« Dans les années 1950-1960, la priorité était donnée au développement du réseau routier français, raconte Michel Boulet, directeur délégué de l’Ifsttar à Nantes-Bouguenais (Loire-Atlantique ). La place du têtard ou des plantes ne préoccupait personne. Désormais, nos recherches sont beaucoup plus en lien avec l’environnement. »

Plusieurs travaux portent ainsi sur l’invention de matériaux alternatifs au bitume issus du pétrole, comme les microalgues ou les déchets de l’industrie agroalimentaire (lire article p. 14) , mais aussi sur le recyclage des anciennes chaussées. « Aujourd’hui, on incorpore seulement 10 à 20 % de matériaux recyclés , explique Pierre Hornych, directeur du laboratoire Lames, à l’Iffstar de Nantes (2). Si on met au point un additif capable de régénérer le vieux bitume, on pourra utiliser plus de 50 % de matériaux recyclés » . On pourrait même y incorporer des déchets urbains, comme le bois ou les gravats.

La route de demain sera également plus « intelligente », prédisent les chercheurs. Imaginez : vous circulez sur une autoroute avec votre véhicule électrique, dont la batterie montre des signes de fatigue. Plutôt que de guetter une borne de recharge, il suffira d’emprunter la voie de droite, équipée d’un système d’induction permettant de recharger sa voiture en roulant. Le secret ? Des câbles situés sous la route, dans lequel circule un courant électrique générant un champ magnétique. « On appelle cela l’induction dynamique, indique Pierre Hornych . Ce n’est pas une technologie encore bien maîtrisée car il faut parvenir à envoyer du courant uniquement au passage du véhicule et gérer les interférences entre champs magnétiques. En revanche, l’induction statique est déjà une réalité. » Dans deux villes allemandes (Mannheim et Brunswick), des autobus électriques de la société Bombardier rechargent leur batterie à l’arrêt, sur une dalle de béton équipée d’une fameuse plaque d’induction.

Qui dit route intelligente dit aussi route connectée, utilisant toutes les ressources numériques pour s’auto-diagnostiquer. Température, taux de déformation de la route, trafic routier… toutes ces données, récupérées par des capteurs situés sous le bitume, transmises à un boîtier intelligent placé en bord de route, permettent de connaître son état en temps réel et d’intervenir le plus tôt possible. Ces outils pourraient aussi mesurer la c h a r g e d e s poids lourds qui circulent sur la chaussée. « Pas besoin de port i q u e d ’é c o taxe ! » , sourit le chercheur. Ces capteurs pourraient même détecter la présence de verglas et déclencher des tuyaux chauffants situés sous la route pour la dégivrer. « Ce principe de route chauffante est déjà testé en France, à égletons (Corrèze), et se montre très intéressant pour les pistes d’aéroport. »

Pour rendre cette route connectée plus sûre, les conducteurs seraient mis à contribution. Leurs smartphones pourraient en effet signaler les lieux où se produisent freinages brutaux ou vitesse excessive, rendant nécessaires des mesures ciblées de sécurité routière. « Le plus grand changement sera de voir des véhicules sans conducteur, prévient Nicolas Hautière, directeur du projet R5G, à l’Ifsttar. Il sera bientôt possible de lâcher le volant dans plusieurs situations, sur une autoroute à faible trafic comme dans des bouchons, avec des systèmes de “stop and go”. » Reste un obstacle de taille, celui de l’acceptabilité sociale, les individus ayant encore du mal – à raison ? – à confier leur vie à une machine.

Autre évolution attendue des chercheurs, une baisse du nombre de voitures sur les routes, lié au développement du covoiturage et des autres moyens de transport. D’où de nouveaux usages des voies de circulation (lire le débat, p. 15) . « En ville, on construit des routes très larges pour un trafic qui n’est important qu’à certains moments de la journée », rappelle Pierre Hornych. On pourrait donc réaffecter ces voies aux piétons ou créer des parkings éphémères durant les heures creuses. « Partager la route est déjà une réalité en ville avec le tramway, mais certains projets vont beaucoup plus loin », souligne Nicolas Hautière, citant celui du milliardaire Elon Musk, en Californie. « Hyperloop » promet ainsi de faire circuler des capsules à très haute vitesse (1 000 km/h) dans des tubes situés le long des autoroutes.

De quoi donner le vertige ! Reste que toutes ces prouesses technologiques se heurtent à un problème de taille : leur coût. « Il faudra le temps nécessaire pour les déployer et les financer à plus grande échelle », relève Pierre Hornych. Afin d’accélérer ce processus, le programme R5G prévoit de concevoir des démonstrateurs en grandeur nature, en lien avec des entreprises (3). Un tronçon de 15 kilomètres de 4 voies récupéré à côté du siège de l’Ifsttar, à Marne-la-Vallée (Seine-etMarne), pourrait ainsi donner corps à ces innovations. Et tracer la route du futur…

Florence Pagneux La Croix 22/09/2015

(1) R5G est en lien étroit avec le programme européen « Forever Open » (2) Lames signifie Laboratoire, auscultation, modélisation, expérimentation des infrastructures de transports (3) L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) pourrait en partie financer ces démonstrateurs, via son appel à projets « Route du futur » lancé dans le cadre des investissements d’avenir.