Comme il existe en géométrie un nombre d’or, étalon de l’harmonie universelle, il existerait aussi, en matière d’activité économique, une température idéale. Une « Goldilocks temperature », disent les scientifiques, en référence au conte des frères Grimm, Boucle d’or, dans lequel la fillette aux mèches blondes se régale du brouet destiné à un ourson, ni trop chaud, ni trop froid. C’est la thèse que soutiennent des chercheurs des universités californiennes Stanford et de Berkeley, dans une étude que publie, jeudi 22 octobre, la revue Nature.
Marshall Burke (département des sciences de la Terre de l’université Stanford) et ses collègues ont corrélé l’évolution du produit intérieur brut (PIB) de 166 pays, sur la période 1960-2010, avec les fluctuations de la colonne de mercure. La productivité – l’efficacité avec laquelle les sociétés transforment ressources naturelles, énergie, capital et travail en biens ou en services – « atteint son pic à une température annuelle moyenne de 13° C », au-delà de laquelle elle « décline fortement ». Un climat trop chaud nuit non seulement aux productions agricoles, expliquent les auteurs, mais aussi aux performances et à la santé des travailleurs de l’ensemble des secteurs d’activité.
Les pays du Sud désavantagés
Ce résultat donne à penser que l’économie de la planète est déjà en surchauffe. Selon les relevés de l’Agence océanique et atmosphérique américaine (NOAA), sur l’ensemble de l’année 2014, le thermomètre a en effet grimpé, à la surface des terres et des océans, au niveau moyen de 14,59 °C.
Il montre aussi que les pays du Sud sont déjà désavantagés dans la compétition économico-climatique, puisque si la France (12,6 °C en moyenne sur la période 1981-2010), le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Etats-Unis ou le Japon connaissent des températures médianes légèrement en dessous ou voisines du seuil fatidique, le Brésil dépasse allègrement les 20 °C, tandis que l’Inde, l’Indonésie, le Nigeria ou le Mali flambent entre 25 et 30 °C. Pour ces nations, chaque degré supplémentaire au-delà de l’optimum de 13 °C ampute davantage le PIB, alors que dans les zones froides ou tempérées, chaque degré de plus en deçà de cette limite se traduit en gain de richesse.
Les chercheurs se sont projetés vers l’horizon de la fin du siècle, en modélisant l’impact du réchauffement climatique en cours sur la productivité mondiale. C’est l’enseignement principal de leur étude, et il n’a rien d’un conte pour enfants. Dans un scénario « business as usual » – avec une poursuite de la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre –, cette productivité sera, globalement, inférieure de 23 % au niveau qu’elle atteindrait sans réchauffement et 77 % des pays connaîtront une croissance moindre que si le globe restait à température constante.
Revenu en baisse de 75 % pour les pays plus pauvres
Surtout, sans politiques d’atténuation du réchauffement, l’écart de revenu par habitant va continuer de se creuser. Tandis que « les 20 % de pays les plus riches enregistreront de légers gains » par rapport à un monde au climat inchangé, notamment sur le continent européen, « le revenu moyen baissera de 75 % dans les 40 % de pays les plus pauvres », en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie.
« On peut discuter des projections, sur les décennies à venir, de modèles calés sur les données économiques du passé, commente Stéphane Hallegatte, économiste senior à la Banque mondiale. Les capacités d’adaptation des économies du Sud sont sans doute sous-estimées. » Pour autant, poursuit-il, « ce travail met en évidence que plus on s’écarte de températures adaptées aux activités humaines et plus les coûts sont importants ».
Redistribution des revenus
« L’étude pose la question de la redistribution des revenus, ajoute-t-il. Un degré de plus en Europe ou en Afrique a des conséquences très différentes. Cela est vrai aussi à l’intérieur d’un même pays, où certains secteurs, comme l’agriculture, seront fortement pénalisés par le réchauffement, quand d’autres, par exemple le tourisme, en profiteront peut-être. »
Les pays du Sud, qui, à l’approche de la COP21, la conférence mondiale sur le climat de Paris, pressent les nations développées de mobiliser les 100 milliards de dollars annuels (88 milliards d’euros) promis pour les aider à faire face aux dérèglements climatiques, trouveront là un argument supplémentaire pour plaider leur cause.
Le Monde 21/10/2015