Pourquoi le latin peut vraiment mourir

Affaibli par la réforme du collège, son enseignement souffre également du fait que les parents n’ont eux-mêmes pas appris le latin ou très peu. Ils préfèrent orienter leurs enfants vers d’autres options.

ÉDUCATION La réforme des langues anciennes au collège risque fort d’accélérer la baisse des effectifs d’élèves en latin. Dès la rentrée 2016, cette option affaiblie sera scindée en deux. Elle sera difficile à organiser dans les établissements : civilisation d’un côté dans le cadre d’un enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) venant « mordre » sur d’autres disciplines, étude de la langue de l’autre dans le cadre d’un enseignement de complément. Confrontés au ministère, qui les accuse de ne s’adresser qu’à des enfants d’origine favorisée, les professeurs de lettres classiques ou l’association Arrête ton char brandissent le fait que près de 20 % des élèves de collège étudient, bon an mal an, le latin. C’est la quatrième langue enseignée en France, entend-on souvent. Ce rang en impose, mais il cache une lente érosion.

Souvenir négatif

Les dernières statistiques du ministère sont sans appel. Même si, en classe de cinquième, 44 % des enfants d’enseignants et 39 % des enfants de cadres, contre 15 % des enfants d’ouvriers, choisissent encore l’option latin, ils abandonnent vite. Quelque 19,3 % des élèves de cinquième font du latin en 2014, mais seuls 5,3 % persistent en classe de seconde. L’étude de cette option, qui s’était stabilisée autour de 20 % au début des années 2000, baisse depuis 2006 et n’atteint que 17,2 % en 2014, avec une perte d’intérêt pour son apprentissage tout au long des années collège. Même dans les établissements privés catholiques, traditionnellement plus attachés à cet enseignement, l’érosion se con­firme. Malgré tous leurs efforts, les professeurs ne parviennent pas à conserver leurs recrues.

Les raisons de cette désaffection sont multiples. Selon une enquête menée, il y a quelques années au­près d’une centaine de jeunes par Okapi, la plupart en avaient un souvenir négatif. S’ils plébiscitaient l’enseignement de la civilisation et l’aide au français, les subtilités de la syntaxe les rebutaient. Au lycée, l’éventail des enseignements offerts au choix des élèves est important et les langues anciennes y figurent au même titre que d’autres (enseignements artistiques, langues vivantes, enseignements technologiques, informatique, etc.), avec lesquels elles se trouvent en concurrence, indique le ministère dans une note récente. Alors que le latin décline, le chinois, très en vogue, est par exemple passé d’environ 10 000 élèves à plus de 30 000 en dix ans.

Mais la véritable explication, c’est sans doute que les parents de collégiens n’ont eux-mêmes pas fait de latin ou très peu, y compris parmi l’élite actuelle, celle qui a accédé aux classes préparatoires et aux grandes écoles. Pour ces quadragénaires qui ont souvent réussi sans le latin, une option russe, italien ou informatique est jugée plus utile professionnellement et suffisante pour accéder aux « bonnes classes ». Les langues anciennes apparaissent en revanche désuètes aux yeux de ceux qui ne souhaitent pas se lancer dans des études littéraires, elles-mêmes en déshérence. La majorité des jeunes latinistes choisissent une section scientifique au lycée… Pour le sociologue Philippe Cibois, fin observateur des questions liées à l’enseignement du latin et auteur d’un site sur la question, « depuis 1990, les parents ont fait de moins en moins de latin et leur investissement en latin pour leur enfant devient de plus en plus faible, ce qui explique la décroissance actuelle ».

L’exemple de Bayrou

Il prend l’exemple de François Bayrou, fervent défenseur du latin. Né en 1951, ce dernier a suivi cet enseignement en section classique de lycée, soit 4 heures de cours par semaine, donc près de 900 heures de latin au cours de sa scolarité. Une personne née vingt ans plus tard, en 1971, n’avait plus que 2 heures hebdomadaires de latin, soit environ 400 heures en tout. Dix ans après, pour une naissance en 1981, le nombre d’heures se réduit à environ 250 heures.

« On a là un modèle raisonnable d’évolution pouvant se résumer par le fait que l’investissement fort de la section classique a poussé les parents à faire étudier le latin par leurs enfants. Quand cet investissement a été progressivement divisé par trois, et ce à partir de 1990, la propension à faire faire du latin a diminué», indique Philippe Cibois, pour qui, si la réforme actuelle, « qui réduit fortement la part du latin », n’a pas soulevé l’opposition massive de la classe politique, c’est que précisément cette classe politique a eu un investissement en latin plus faible qu’auparavant.

Le Figaro 30/10/2015