Face aux climatosceptiques, qui se réveillent, le scientifique Jean Jouzel ou le spécialiste Pascal Canfin dressent l’état, éloquent, de la recherche.
Les climatosceptiques n’ont pas disparu. A l’approche de la conférence de Paris sur le climat, ils tentent de faire entendre leurs voix, nullement ébranlés par les dégâts provoqués par le réchauffement de la planète. Sous l’effet de l’acidification des océans, qui captent d’énormes quantités de CO2, la Grande Barrière de corail a déjà perdu la moitié de ses coraux. Le niveau moyen des océans s’est élevé de 10 centimètres en cinquante ans. Réservoir de gaz à effet de serre et piège à virus emprisonnés là depuis des millénaires, le permafrost fond à vue d’oeil. Au Chili, sévit depuis cinq ans une méga-sécheresse sans précédent. La Californie épuise ses réserves en eau. Le lac Tchad s’assèche. On pourrait multiplier les exemples sans convaincre les nouveaux climatosceptiques, parmi lesquels les Français Rémy Prudhomme, Benoît Rittaud, Philippe de Larminat, Christian Gerondeau, lequel vient de publier « Climat : J’accuse » (1), un réquisitoire ultra-violent pour la construction de centrales à charbon dans les pays en développement, seul moyen selon lui de sauver de la « mort »[sic] des millions de pauvres privés d’électricité. Polluons plus pour tuer moins, ou le raisonnement par l’absurde de Gerondeau. A la différence de Claude Allègre – en partie revenu sur ses affirmations -, eux ne sont pas des scientifiques du climat, et peu revendiquent le terme de climatosceptiques.
Se posant en lanceur d’alerte, l’essayiste Rémy Prud’homme voit dans le réchauffement climatique une gigantesque machination scientifique. C’est la théorie du complot appliquée au climat. Dans « L’Idéologie du réchauffement », Rémy Prud’homme reprend à son compte deux arguments classiques des climatosceptiques. Le premier est celui du « plateau » : le rythme d’élévation des températures depuis l’ère pré-industrielle marquerait le pas depuis 1997 et nous aurions donc tort de nous alarmer. Le deuxième argument de Remy Prud’homme est l’absence de preuve scientifique irréfutable d’un lien causal unique entre la concentration de CO2 dans l’atmosphère et la hausse des températures. C’est, recyclée, l’idée que l’homme n’est pas le premier responsable du réchauffement. Malheureusement, cette thèse, appuyée sur les travaux du mathématicien Riffaud, ne résiste guère à l’épreuve des faits. L’année 2014 a été la plus chaude jamais enregistrée depuis plus d’un siècle et l’Organisation météorologique mondiale vient d’indiquer que la concentration des gaz à effet de serre avait atteint un record l’an dernier. Sur la question du « plateau », une réponse claire est apportée par le climatologue Jean Jouzel, médaille d’or du CNRS 2002, dans un livre très didactique cosigné avec le journaliste Olivier Nouaillas, « Quel climat pour demain ? ». « Les quinze dernières années, écrivent-ils, ont été les plus chaudes que nous ayons connues, mais, à l’intérieur de cette période, le réchauffement a été 2 à 3 fois moins rapide que sur les trente années précédentes. [Cependant], cette pause dans le réchauffement semble remise en cause par des résultats récents indiquant que le rythme du réchauffement est aussi élevé sur la période récente qu’au cours de dernières décennies du XXe siècle. » Quant à la contribution de l’homme, elle est « semblable » au réchauffement observé depuis 1950, soit 0,6 à 0,7 degré selon le 5e rapport du Giec, rappelle Jean Jouzel, qui exclut tout impact du rayonnement solaire. Il n’est jamais inutile d’opposer la raison à l’obscurantisme climatique, surtout quand l’avenir de la planète est en jeu.
Enjeux d’avenir
Mais c’est surtout aux enjeux d’avenir, donc de la conférence de Paris, que s’attachent Pascal Canfin et Jean-Marc Jancovici. Grand spécialiste de l’énergie, fondateur de la société de solutions écologiques Carbone 4, ce dernier donne, dans un livre au titre à lire au second degré, « Dormez tranquilles jusqu’en 2100 » (2), une idée de ce que donnerait un réchauffement de quelques degrés de la planète : « cinq degrés de hausse de la moyenne, c’est à peu près ce qui s’est produit quand notre planète est passée de la dernière ère glaciaire au climat actue.l » La grande originalité de ce livre est surtout dans son plaidoyer pour une écologie nucléaire, car « la course contre la montre demande que l’on commence par supprimer les énergies fossiles avec ce qui est le plus efficace par euro investi ». Non seulement il ne faut pas abandonner le nucléaire, mais il faut « le développer rapidement », défend Jean-Marc Jancovici. Pour parvenir à un monde sans carbone, Pascal Canfin, aujourd’hui conseiller principal du grand think tank américain World Resources Institute, plaide, lui, pour des biotechnologies de transition propres comme le biogaz. Neutre en carbone, « Climat, 30 questions pour comprendre la conférence de Paris », ouvrage limpide, dont il vient, avec l’expert Peter Staime, de publier une version actualisée, est le vade-mecum indispensable à quiconque a l’ambition de comprendre non seulement ce qui se joue à Paris dans trois semaines, mais aujourd’hui sur la planète. A lire avant qu’il ne soit trop tard.
Les Echos 13/11/2015