Les plus gros pollueurs peuvent diviser leurs émissions de CO2 par deux sans diminuer leur croissance

Rester sous 2 °C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle : la faisabilité de l’objectif fixé par la communauté internationale, en 2009 à Copenhague, est un sujet de débats. Avec prudence, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et le Sustainable Development Solutions Network répondent par l’affirmative. Les deux instituts publient, jeudi 3 décembre, le résultat d’un projet de recherche international – le Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP), « Trajectoires de décarbonation profonde » –, lancé en 2013, pour esquisser les scénarios de développement susceptibles de contenir le réchauffement.

Selon les travaux présentés, les 16 pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre pourraient, à l’horizon 2050, réduire de 56 % leurs émissions par rapport à 2010. Et ce, tout en absorbant une augmentation de 17 % de leurs populations cumulées et en maintenant une croissance économique moyenne de 3,1 % par an.

Lire aussi : La croissance verte existe-t-elle?

« Dans ses scénarios de développement, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) raisonne au niveau mondial, précise Henri Waisman, chercheur à l’Iddri et coordinateur du projet. Nous avons pour notre part suivi une démarche inverse, en partant des pays et en tenant compte de leurs spécificités et de leurs infrastructures, pour construire des scénarios de décarbonisation de leur secteur énergétique, puis en agrégeant les résultats. » Pour chaque pays, les équipes de recherche nationales ont été sollicitées.

Objectif très ambitieux

Au-delà des divergences, plusieurs exigences communes se dégagent, en particulier « une forte augmentation de l’efficacité énergétique et une décarbonisation de la production d’électricité », précise M. Waisman. « Pour la France, par exemple, nous nous sommes fondés sur ce qui a été élaboré en 2013, dans le cadre du débat sur la transition énergétique », explique l’économiste Patrick Criqui (CNRS, université de Grenoble), coauteur de la section française du rapport. « Nous sommes partis d’un premier scénario qui vise une division par deux de la consommation énergétique vers 2050, qui fait progressivement passer la part du nucléaire dans la production électrique de 50 %, en 2025, à 25 %. »

Lire aussi : Les énergéticiens français sur la sellette

Toutefois, la division par deux de la consommation énergétique à l’horizon du milieu du siècle est un objectif très ambitieux. « Cela implique une rénovation de l’ensemble du parc immobilier, soit un demi-million de logements rénovés par an dès 2017, dit ainsi M. Criqui. Si cet objectif n’est pas tenu, alors il faudra augmenter la quantité d’énergie non carbonée et maintenir la production d’énergie nucléaire autour de 50 %, ce qui pose d’autres questions que la rénovation des logements : la gestion du parc de centrales, le lancement d’une nouvelle génération de réacteurs, etc. »

Aucun scénario ne sera simple à mettre en œuvre. « La transition doit être un processus dynamique, conduit sur le long terme, dit l’économiste français. Il faut viser des objectifs, puis évaluer régulièrement l’efficacité des mesures mises en place et les faire évoluer en fonction des résultats. »

L’originalité du travail qui a été conduit réside également dans la prise en compte des débats qui traversent chaque pays. Les chercheurs japonais, qui travaillaient dans la foulée de l’accident de Fukushima, ont ainsi montré que la décarbonisation de leur économie reste possible sans redémarrage de leurs centrales nucléaires.

Lire aussi : Le Japon relance un deuxième réacteur nucléaire dans une relative indifférence

D’autres marges d’action existent

Avec 56 % de réduction des émissions des 16 pays considérés – qui totalisent 75 % environ des émissions mondiales aujourd’hui –, il n’est toutefois pas certain que la barre des 2 °C ne soit pas franchie. En tenant compte des incertitudes de la science climatique, un tel effort conduirait à garder une chance sur deux de demeurer sous ce seuil.

Cependant, d’autres marges d’action existent, et certaines des options prises par les auteurs du rapport sont relativement conservatrices. « D’une part, nous n’avons considéré que le secteur énergétique et non les progrès possibles dans d’autres domaines comme l’agriculture, dit ainsi M. Waisman. De plus, les auteurs ont généralement exclu des modifications importantes dans les modes de vie. »

Par exemple, les chercheurs qui ont travaillé sur le cas américain n’ont pas anticipé de changements importants dans la mobilité individuelle… Pour l’Afrique du Sud, les auteurs ont supposé un développement retardé de la voiture électrique à grande échelle, au motif que leur pays n’est pas armé pour mener seul une telle évolution. « Mais on peut souhaiter qu’après un accord à Paris, des programmes internationaux se mettront en place autour des technologies clés », tempère M. Waisman.

 Le Monde 03/12/2015