Apprentissage : donner la priorité aux jeunes peu ou pas diplômés

C’est un livre sur l’apprentissage qui commence d’une drôle de façon : par la dernière strophe d’un poème de Paul Vidal. Une épigraphe plus provocante qu’étonnante en réalité : cette strophe a en effet été donnée comme sujet d’examen à l’ensemble des candidats aux certificats d’aptitude professionnelle (CAP) en 2013. Les élèves devaient répondre à des questions sur la structure et la signification du texte et ensuite écrire une lettre au poète. Dans leur ouvrage L’apprentissage, Pierre Cahuc, professeur au Centre de recherche en économie et statistique (Crest) de l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae), et Marc Ferracci, professeur à l’université Panthéon Assas, s’appuient sur cet exemple pour montrer les faiblesses du système français.

Réduire la part des matières académiques

Pour obtenir un CAP en France, les matières d’enseignement général restent importantes. Leur contenu, très académique, “est rarement en rapport direct avec les compétences requises pour exercer les métiers auxquels se destinent les élèves des filières professionnelles”, soulignent les auteurs. Il en va tout autrement en Allemagne, en Suisse et au Danemark où les formations en alternance occupent une place de premier plan : les matières générales y ont un poids plus faible et l’enseignement est “orienté vers l’acquisition de savoirs pratiques liés directement aux métiers futurs”.

Autre particularité française : l’apprentissage y est “en panne pour les plus bas niveaux de qualification, mais en plein essor pour les plus diplômés”. Résultat : non seulement l’apprentissage dans l’enseignement supérieur conforte la reproduction sociale, mais le bénéfice de l’alternance en matière d’insertion dans l’emploi décroît avec le niveau de qualification et “s’annule pratiquement pour les plus diplômés”.

Une déperdition d’argent

Dans un pays où 120 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire dotés au mieux de leur brevet, les auteurs appellent à concentrer l’aide publique “là où elle est efficace et équitable”, en développant l’apprentissage dans le second cycle de l’enseignement secondaire et en modifiant “en profondeur la gouvernance de l’enseignement professionnel”.

Aujourd’hui, il existe en effet deux types de contrats pour se former en alternance : le contrat d’apprentissage s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans en formation initiale. Peu flexible, il présente en outre un contenu de formation académique trop général. Destiné aux jeunes âgés de 16 à 25 ans, ainsi qu’aux demandeurs d’emploi âgés de 26 ans et plus, le contrat de professionnalisation, de son côté, est insuffisant en termes de formation dispensée. D’où l’idée de “les fusionner en un dispositif unique, tant du point de vue de la collecte et des dépenses que du standard de formation”.

Organiser un contrôle de la qualité

Ce dispositif pourrait être piloté par une instance nationale, composée des branches professionnelles, de l’Education nationale, du ministère du Travail et d’experts indépendants, qui définirait les grands objectifs de l’apprentissage : les modules d’examens et de certificats, le niveau de dépense par stagiaire, la durée de la formation, les conditions de mise en situation professionnelle ainsi que le nombre et la qualification des formateurs.

Un réseau d’agences serait chargé de certifier les formations éligibles aux subventions publiques, à l’image du système de certification des formations mis en place par l’Allemagne au cours des années 2000. Une réforme nécessaire pour favoriser l’émergence de formations de qualité.

L’apprentissage, donner la priorité aux moins qualifiés, Pierre Cahuc et Marc Ferracci (Les presses de Sciences Po, 102 pages, 6 euros).

Le Monde 21/12/2015