De nos jours, qui se sert de l’écriture ? Qui en a vraiment besoin ? Pourquoi apprendre à écrire au lieu de rester analphabète ? A quoi bon ? Ces questions feront sourire pour une bonne raison : elles sont idiotes et irresponsables. Savoir écrire est bien plus important, bien plus vaste que… savoir écrire. Ecrire, c’est communiquer avec le monde extérieur, c’est se développer soi-même : apprendre à organiser, à affiner, à analyser ses idées. Les raisons d’écrire sont très puissantes, très profondes.
Et si en 2016, on apprenait à tous les enfants à coder ? A quoi bon ? Qui en a vraiment besoin ? Certains, partout dans le monde, voient le codage, c’est-à-dire l’écriture de programmes informatiques, comme une extension naturelle de l’écriture. On peut écrire un message, un article, un poème ou un livre. Dans la dimension numérique, on peut coder des histoires interactives, des sites web, des jeux, des animations ou les rotations infinitésimales du télescope Hubble.
En Estonie, le minuscule pays de 1,3 million d’habitants qui s’enorgueillit d’avoir inventé Skype, un programme baptisé ProgeTiiger se fait fort d’enseigner le code informatique à tous les élèves âgés de 7 à 19 ans. L’objectif est de libérer le potentiel de productivité personnelle, sociale et économique bloqué aujourd’hui par un rapport limité, maladroit et complexé aux technologies de l’information et de la communication. Encore faut-il trouver des enseignants. Dans beaucoup de pays, faute de ressources humaines, l’affaire est confiée au prof de maths, ou de techno. Et pourtant, rien à voir !
Au Royaume-Uni, le Science Council tire la sonnette d’alarme : les codeurs ne sont pas assez nombreux alors que le nombre d’employés travaillant dans les technologies de l’information progressera de 39 % d’ici à 2030. Les « métiers du futur », avec leur large composante numérique, exigeront une compétence de codage. Et plus on commence jeune… Chacun sait que l’avenir d’un être humain se décide largement en maternelle. C’est là qu’il faut commencer à coder.
Mieux vaut coder les machines qu’être codé par les machines. Mitchel Resnick, professeur en pédagogie au Media Lab du MIT, a inventé Scratch, la plateforme du code sans peine. Pour lui, il ne s’agit pas seulement d’apprendre à coder. En codant, les enfants apprennent à apprendre. Ils se familiarisent avec les maths et l’informatique mais surtout, ils découvrent des stratégies pour résoudre les problèmes, concevoir les projets, communiquer des idées et « designer » les solutions. L’homme sachant coder est un homme augmenté qui sait non seulement lire des médias numériques, mais les écrire. De spectateur submergé, il devient acteur informé.
Coder, c’est peut-être aussi le remède contre un fléau qui ravage la jeunesse de la planète : la passivité neuronale devant l’écran. Le codage pour tous, c’est un premier pas pour faire en sorte que les machines restent des machines, quitte à décevoir les adeptes de la singularité. Grâce à l’apprentissage du code, le cerveau accède à de nouvelles dimensions. Les plus mordus des « geeks » mettent toutefois en garde. Passé un certain niveau, la programmation informatique devient une fin psychologique en soi, un besoin, une addiction. Comme la composition pour les musiciens.
L’Opinion 22/12/2015