Pour se diriger vers un futur souhaitable, chacun sent confusément, y compris dans le monde de l’entreprise, que des transformations sont indispensables.
La première d’entre elles est celle de la transition énergétique. Mais réussir une transition est, par construction, difficile. On est en effet dans une problématique de basculement d’écosystèmes. Comment investir, lorsque le retour sur investissement est particulièrement long, alors que les bénéfices d’une stratégie contribuant à un futur collectif souhaitable dépassent, par nature, le seul cadre des entreprises, mais impactent positivement le bien commun ?
Pourquoi les entreprises financeraient-elles un risque dont les bénéfices dépassent leur seule sphère d’intérêt ? Et comment les Etats pourraient-ils financer les investissements à long terme nécessaires, alors que leur priorité est d’équilibrer leurs comptes à court terme ? On l’entrevoit, de nouveaux rôles et responsabilités sont à mettre en place entre entreprise et Etat, aptes à dynamiser chacun et à entraîner la confiance et l’action des citoyens.
La lecture d’un petit livre qui vient de sortir, Hydrogène : la transition énergétique en marche ! (Pierre-Etienne Franc et Pascal Mateo, préface de Pascal Lamy, éditions Alternatives, 2015), apportera aux responsables d’entreprise des réponses concrètes sur la façon de sortir des multiples cercles vicieux qui empêchent une transition, de quelque nature qu’elle soit, et devrait être de nature à stimuler leur réflexion.
Passer à une croissance plus contributive à la construction d’un futur souhaitable nécessite, notamment, de réorienter de façon innovante la stratégie comme le mode de management des entreprises. Or, aujourd’hui, l’innovation suppose, de plus en plus, le développement d’un écosystème complet auquel participent plusieurs entreprises de secteurs différents. Aucun acteur isolé ne peut réussir. Mais comment éviter que les partenaires potentiels nécessaires à la construction de l’écosystème refusent de s’engager au motif que l’écosystème n’est pas construit ? Comment casser ce dilemme de la poule et de l’œuf ?
Des relations d’alliance
Un nouveau type de relation est à bâtir entre les entreprises : des relations d’alliance, où chacune des entreprises partage avec les autres un but commun et met toute son énergie à la réussite de ce but. Ce qui a été mis en place pour la transition vers l’hydrogène est à cet égard exemplaire. Un consortium a été monté, réunissant tous les acteurs nécessaires, pourtant concurrents sur leurs secteurs respectifs (constructeurs automobiles, pétroliers, fournisseurs de gaz).
Son but : étudier les conditions de la montée en puissance de l’infrastructure nécessaire et la mettre en place en neutralisant pour un temps les forces concurrentielles jusqu’à ce que le palier de rentabilité soit atteint. Sa logique est coopérative et sectorielle, à la fois publique et privée, réduisant le risque d’échec par un accord des principaux acteurs du secteur sur les conditions requises du succès. Sa temporalité est définie : lorsque le palier de rentabilité sera atteint, le consortium sera démantelé, les pièces de l’infrastructure seront reprises par les acteurs à un prix discuté à l’avance.
Dans un tel type de coopération entre entreprises, banques et Etat, un objectif commun pour le futur est défini : à telle date, si chacun fait ce qu’il a à faire, tel montant d’économies de carbone sera réalisé. Les entreprises investissent dans l’infrastructure nécessaire, les banques prêtent aux entreprises, l’Etat mène les politiques fiscales et incitatives adéquates. A partir de la date convenue, les entreprises sont rémunérées sur les économies réalisées et les banques sont remboursées.
L’Etat s’est engagé, en cas de différentiel entre les économies réelles et les économies prévues, à régler aux entreprises le montant correspondant. Mais, chacun ayant agi de façon conjointe, cet écart est normalement nul. Tous ont été dynamisés par cette vision commune du futur. Tous, en incluant bien sûr les citoyens qui constatent un effort collectif cohérent vers un résultat réalisable. En synthèse, il s’agit de « remettre l’avenir au centre du présent, de redonner du sens et une valeur à l’avenir ».
Nous nous plaignons souvent des blocages qui empêchent les transitions que chacun sent pourtant comme nécessaires. Bâtir des relations d’alliance entre entreprises partageant la volonté commune de contribuer à un futur souhaitable, définir ce futur souhaitable pour ce qui concerne la sphère d’action de ces entreprises, le valoriser dans le présent, agir de façon conjointe, est de nature à permettre le mouvement. C’est aussi de nature à motiver chacun, ou plutôt à permettre à chacun de s’épanouir davantage. Qu’il s’agisse des responsables d’entreprise, des collaborateurs, des fournisseurs, des clients, ou des actionnaires.
Philippe Lukacs est l’auteur de Stratégie pour un futur souhaitable (Dunod, 2008).
- Philippe Lukacs (Professeur de management de l’innovation à l’Ecole Centrale de Paris)
Le Monde 07/01/2016