Autocars : la guerre des petites lignes

La libéralisation du transport par car suscite une concurrence effrénée profitant aux transporteurs régionaux. La lutte s’intensifie autour des lignes inférieures à 100 kilomètres, notamment celles qui sont les plus rentables.

L’arrivée sur les routes des « cars Macron » donne une petite ambiance de ruée vers l’or au secteur du transport. « Il y a une certaine fébrilité de nos adhérents. Je redoute même notre prochain rendez-vous annuel », avoue Michel Seyt, le président de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV). Si le gouvernement ne cesse de communiquer sur le millier de créations d’emplois provoquées par la libéralisation du marché du transport de voyageurs par car, le segment des lignes inférieures à 100 kilomètres restant soumis à une autorisation devient un sujet sensible.

Avant la fusion au sein de la grande région Aquitaine, le Limousin avait saisi l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) contre la liaison demandée par FlixBus entre Brive et Limoges, la collectivité craignant la concurrence pour sa ligne TER. Même chose pour la région Paca pour six lignes que FlixBus, jeune entreprise allemande, déjà leader outre-Rhin, prévoit depuis Marseille vers Hyères et Toulon et de cette dernière vers Aubagne. En revanche, FlixBus a pu ouvrir sa liaison Lons-le-Saunier – Dijon, la première en dessous de moins de 100 kilomètres, car elle n’a pas fait l’objet de recours.

Au total, 79 demandes de créations de ligne ont été déposées pour l’instant auprès de l’Arafer, selon un décompte établi par celle-ci, jeudi. Et 13 recours ont été déposés par des régions ou d’autres autorités organisatrices qui craignent un déséquilibre économique sur des lignes parallèles qu’elles subventionnent. « D’autres saisines sont à prévoir dans le temps, estime Pierre Cardo, le président de l’Arafer. Nous allons avoir un travail assez considérable. »

Une fois saisie, l’autorité a deux mois (trois dans les cas jugés les plus compliqués) pour se prononcer, et le cas échéant limiter ou interdire la liaison. Autre conséquence, « la concurrence entre autocars et TER va peut-être inciter les régions à se pencher sur les comptes et la transparence des contrats signés avec la SNCF », juge un expert. L’entreprise publique, qui s’est lancée sur ce marché sous la marque Ouibus, est par ailleurs le seul acteur à ne pas avoir déclaré de projets de ligne de moins de 100 kilomètres. Sans doute pour ne pas alimenter les critiques qui l’accusent de se faire concurrence à elle-même.

C’est pour la liaison très convoitée entre Paris et l’aéroport de Beauvais que la lutte risque d’être la plus chaude. Le syndicat mixte de l’aéroport, qui exploite une ligne de bus, a saisi l’Arafer contre le projet de FlixBus. « C’est un monopole et à 15 euros pour 80 kilomètres, le billet est vendu trois fois plus cher qu’ailleurs en Europe, où les prix oscillent entre 4 et 8 centimes du kilomètre et où le transporteur gagne sa vie si le car est plein. Le syndicat mixte explique que cela fait partie du modèle économique de l’aéroport, mais cela n’est pas sain », assure Pierre Gourdain, directeur général de FlixBus France, qui promet, s’il obtient la possibilité d’exploiter la ligne, d’en ouvrir d’autres, depuis Lille, le sud de Paris ou la Normandie.

Concurrence croissante

Quant aux lignes longue distance, la concurrence y est déjà féroce. Sur un secteur animé par 3.700 entreprises réparties sur tout le territoire, elle profite notamment aux autocaristes régionaux. Ceux-ci sont très courtisés par les grands acteurs qui veulent aller vite pour prendre des parts de marché. C’est clairement le cas de Ouibus et de FlixBus.

Avec des modalités très différentes. Si le premier affrète des autocars avec une rémunération des transporteurs au kilomètre, le second veut des « partenaires » avec lesquels il partage les recettes de la billetterie : généralement 70 % pour le transporteur et 30 % pour FlixBus, qui assure la vente des billets. La start-up, qui fait déjà rouler 80 cars à ses couleurs, s’appuie ainsi sur une trentaine de PME qui ont investi dans les véhicules, comme le toulousain Jardel Transport ou Royer Voyages en Alsace. « Alors que l’affrètement tire les revenus vers le bas, c’est l’inverse dans notre cas puisque l’autocariste est intéressé au résultat », explique Pierre Gourdain, directeur général de FlixBus.

Un avis qui n’est pas partagé par tous. Notamment Michel Seyt, dont l’entreprise est implantée à Saint- Flour et a préféré travaillé avec Ouibus : « Nous roulons avec un cahier des charges précis et nous avons une visibilité précise de nos recettes. » Et si l’anglais Megabus préfère acheter ses véhicules et embaucher ses chauffeurs, Isilines (Transdev) pourrait lui aussi chercher à s’appuyer sur des PME locales.

Le dernier modèle économique est celui de Starshipper. La marque est devenue en octobre une entreprise détenue par une trentaine de transporteurs régionaux, Charles Beigbeder étant devenu l’actionnaire de référence avec 30 % du capital fin décembre. Les actionnaires achètent leurs autocars, qui sont ensuite affrétés par Starshipper pour constituer un réseau national. « Nous faisons ensemble ce qu’aucun de nous n’aurait pu faire seul », résume Jean-Sébastien Barrault, qui dirige le Groupe Lacroix, transporteur indépendant du Val- d’Oise, actionnaire de Starshipper qui fait aujourd’hui rouler 21 véhicules. La plupart des lignes étant généralement opérées par deux transporteurs. L’entreprise girondine ASTG travaillant avec Le Basque Bondissant entre Bordeaux et Hendaye et les Courriers Rhodaniens pour celle avec Lyon.

Si l’activité croît très vite, la guerre des prix inquiète. « Il y a une certaine euphorie parmi les cinq acteurs et le marché se joue aujourd’hui sur la guerre des prix, mais il va bien falloir que cela s’arrête », insiste JeanSébastien Barrault.

Les Echos 15/01/2016