LinkedIn, la pieuvre du monde du travail

 

Le réseau social américain veut répondre à tous les besoins des actifs sur la planète, de la recherche d’emploi à la formation. Et n’entend pas s’arrêter à ses 400 millions de membres actuels.

Et si le siège du futur Pôle emploi se situait à Mountain View, en pleine Silicon Valley ? L’hypothèse n’est pas si fantaisiste au vu de la trajectoire de LinkedIn et de son potentiel, encore sous-exploité. La société a été créée en 2003 – avant Facebook. A l’origine : plusieurs entrepreneurs et ingénieurs, dont un Français, Jean-Luc Vaillant. Mais l’idée vient surtout de Reid Hoffman. Cet ancien d’Apple bascule dans l’entrepreneuriat après la vente de PayPal à eBay, en 2002. Membre du conseil d’administration et actionnaire de PayPal, il récupère dans l’opération un joli pactole et en profite pour lancer son entreprise. Plusieurs idées lui tiennent à coeur, mais il choisit de développer un outil d’aide à la construction de la vie professionnelle, plus complet que les seuls « job boards », qui existent alors et se contentent de recenser les offres d’emploi. Ce sera LinkedIn, véritable réseau social professionnel.

Treize ans plus tard, la société pèse plus de 25 milliards de dollars à Wall Street. Son ascension a été linéaire, loin des hauts et des bas qu’ont connus les étoiles du secteur, de Yahoo! à Facebook en passant par Twitter. Sans faire beaucoup parler de lui, le service est devenu l’un des plus influents dans le monde. LinkedIn compte aujourd’hui 400 millions de membres (plus que Twitter, par exemple). Il n’est plus ce site anglo-saxon que ses concurrents l’accusaient d’être : les Etats-Unis ne représentent plus qu’un quart des membres. Trois nouveaux inscrits sur quatre ne sont pas américains, et LinkedIn compte plus de 10 millions de membres en France, soit autant que son concurrent local Viadeo, et déjà plus de 13 millions en Chine, un an seulement après son arrivée sur ce marché, où la plupart des géants américains se sont cassé les dents. Sans oublier que le service est traduit dans 24 langues. D’ailleurs, il a écrasé la concurrence, incapable de rivaliser avec ses énormes moyens et démontrant encore un peu plus la difficulté d’exister quand on est challenger sur le marché des réseaux sociaux.

LinkedIn a généré, l’an dernier, près de 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires (une grande majorité des revenus vient encore des Etats-Unis). Et, si la société termine l’année dans le rouge, elle le doit à une série d’investissements et de rachats qui doivent lui permettre d’accélérer encore, à l’avenir. Les années précédentes, elle avait dégagé des bénéfices, ce que tous les géants du Net ne peuvent pas dire… Et les analystes sont persuadés que LinkedIn n’a pas encore exprimé tout son potentiel. Selon une étude de FaberNovel, c’est même, parmi tous les géants du Net, celui qui monétise le mieux le temps passé sur son site. En moyenne, en 2013, la société générait 16,4 dollars par heure passée sur son service, contre seulement 0,7 dollar par heure pour Facebook, ou 2,9 dollars pour Twitter.

Son principal actif, l’« Economic Graph »

La société possède aussi une base de données hors norme. Grâce aux CV, aux parcours renseignés par ses utilisateurs et aux contacts de chacun, elle est capable de modéliser les relations professionnelles de dizaines de millions d’actifs dans le monde, de dizaines de milliers d’entreprises, d’écoles et d’universités. C’est ce qu’elle appelle l’« Economic Graph », en référence au « Social Graph » de Facebook, et qui constitue son principal actif. « Nous le mettons au service de notre ambition : permettre aux 3 milliards d’actifs sur la planète d’optimiser leur vie professionnelle », affirme Laurence Bret-Stern, directrice marketing Europe, Moyen-Orient et Afrique de LinkedIn. La société commence aussi à travailler avec certaines collectivités locales. Elle a ainsi mené des études avec les villes de New York ou Manchester pour déterminer dans quels secteurs il pourrait y avoir des pénuries d’emplois dans les années à venir. « En France, le secteur public est l’un de ceux qui croît le plus vite sur LinkedIn », précise Laurence Bret-Stern.

Preuve du potentiel de l’Economic Graph : le changement de modèle économique de l’entreprise au fil du temps. Alors que, à l’origine, elle comptait sur la publicité et les abonnements payants – pour pouvoir contacter tout le monde et disposer de toutes les fonctionnalités, il faut s’abonner, moyennant une dizaine d’euros par mois -, sa principale source de revenus est désormais, de loin (60 % des revenus), le service de recrutement qu’elle apporte aux entreprises. Elle permet en effet à celles qui recherchent des talents de puiser parmi ses 400 millions de membres. Comme un site de rencontres par affinités, elle met en relation les entreprises et les actifs les plus à même de « matcher ». Au total, ce sont 40.000 sociétés qui utilisent ainsi ses services à travers le monde.

Une plate-forme de services

Mais LinkedIn ne compte pas s’arrêter là et veut fournir d’autres services aux entreprises. A commencer par la formation. L’an dernier, LinkedIn n’a pas hésité à débourser 1,5 milliard de dollars pour mettre la main sur Lynda, une plate-forme de cours et de formations en ligne. Son idée : proposer à chacun de ses membres des formations personnalisées pour continuer à se perfectionner. L’américain souhaite ainsi profiter de la manne de la formation continue en ligne, en train de se créer du fait de la numérisation du secteur.

C’est tout un écosystème autour du monde du travail que LinkedIn est donc en train de constituer. La société possède aussi SlideShare, le « YouTube du PowerPoint », qui permet de créer et de partager des présentations. Plus de 18 millions de documents ont ainsi été créés. Et, comme Google, Apple, Amazon ou Facebook, la société a ouvert sa plate-forme pour que les développeurs du monde entier construisent des applications qui puissent se « brancher » à son réseau.

Toutefois, pour concrétiser son dessein, LinkedIn doit d’abord fidéliser ses utilisateurs et les faire rester plus longtemps sur sa plate-forme, pour définitivement rompre son image de service de recherche d’emploi.

Tout en s’ancrant davantage au niveau local. C’est ainsi que la société a lancé Influenceurs, une plate-forme qui permet de publier des contenus directement sur LinkedIn. Elle s’appuie pour cela sur quelques VIP, 500 « leaders d’opinion », parmi lesquels Barack Obama, David Cameron, Richard Branson ou Bill Gates, dont les publications sont mises en avant. Le contenu est adapté dans chaque pays clef : dans l’Hexagone, le programme Influenceurscompte par exemple Emmanuel Macron, Axelle Lemaire ou le fondateur de BlaBlaCar, Frédéric Mazzella. C’est bien la preuve que la France, deuxième marché européen pour LinkedIn derrière le Royaume-Uni, est jugée stratégique. Au total, ce système de publication génère 150.000 posts par semaine.

Quant à savoir si, potentiellement, tout le monde pourrait un jour être présent sur LinkedIn, le géant américain répond sans hésiter. « Il n’y a aucune limite. Au Royaume-Uni, par exemple, nous comptons 18 millions d’utilisateurs, souligne Laurence Bret-Stern. Nous allons désormais bien au-delà d’une audience de cadres. Aujourd’hui, on trouve aussi sur LinkedIn des employés, des cadres moyens. L’objectif est de présenter une couverture exhaustive du marché du travail. »