Le Bundesrat, la Chambre des Länder, a voté vendredi un texte demandant la « suppression » du label historique. Il voudrait confier la chaîne du recyclage aux communes, mais le gouvernement veut maintenir le système actuel.
Le Point vert allemand, label de recyclage considéré comme un élément du patrimoine national, à l’instar de la Golf de Volkswagen, la sortie du nucléaire ou l’équipe de football nationale, est-il en train de vivre ses derniers jours ? Le Bundesrat, la Chambre des Länder allemands, a voté vendredi à la majorité un texte demandant la suppression de ce système né au début des années 1990 et qui a fait des émules partout dans le monde.
Objectif des régions allemandes : redonner aux communes la haute main sur la collecte des emballages, aujourd’hui gérée par onze sociétés privées. « Avec ces changements, nous supprimerions les systèmes duaux en Allemagne, qui sont devenus une structure de plus en plus chère et inefficace », a déclaré le ministre de l’Environnement du Bade-Wurtemberg, Franz Untersteller, à l’origine de l’initiative.
Son projet a toutefois été reçu fraîchement par le ministère de l’Environnement fédéral, qui peut (mais ne doit pas) en tenir compte dans le cadre de sa réforme de la loi sur le matériau recyclable en cours de préparation. « Cela fait partie du jeu classique d’afficher des positions maximalistes », a relativisé un porte-parole du ministère.
Elargir le spectre des déchets destinés au recyclage
Toutes les parties semblent partager l’objectif du gouvernement, qui consiste à élargir le spectre des déchets destinés à être recyclés. Actuellement, seuls les emballages en plastique sont collectés dans la poubelle ou dans un sac jaune. La ministre Barbara Hendricks veut y ajouter d’autres déchets en plastique ou en métal, comme des vieux jouets ou des poêles à frire. Elle souhaite ainsi doubler le taux de recyclage du plastique à 72 %.
Son projet de réforme, sur lequel se sont cassé les dents plusieurs de ses prédécesseurs, intervient alors que l’Allemagne n’a jamais produit autant de déchets. Depuis 2003, le poids des emballages est passé de 187,5 kilogrammes par personne et par an à 212,5 en 2013. Les volumes ont progressé de 10 %, à 17,1 millions de tonnes par an. Une hausse due en partie à l’essor du commerce en ligne et des emballages en carton.
Les communes, qui surfent sur un mouvement plus général de municipalisation des services collectifs, comme l’énergie, se jugent mieux préparées. Elles soulignent que les sociétés du Point vert, qui se livrent une concurrence destructive, ont des coûts fixes d’environ 120 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de plus de 900 millions. « Le projet du gouvernement fédéral revient à privatiser complètement la collecte de matériaux recyclables », juge la fédération des entreprises communales (VKU).
« Une nationalisation du recyclage ne serait profitable ni aux citoyens, ni à l’économie », répond Michael Wiener, président de DSD, l’ex-monopole historique qui contrôle aujourd’hui 40 % du marché. Le gouvernement juge que le principe existant a fait ses preuves. Celui-ci prévoit que fabricants et distributeurs paient une redevance aux sociétés labellisées assurant la collecte. Il est néanmoins prêt à donner plus de pouvoir aux communes pour superviser celle-ci
En France aussi, c’est la guerre des poubelles
L’ Allemagne n’est pas la seule à s’interroger sur sa filière de collecte des déchets. La France aussi. Or elle a opté pour un modèle exactement inverse. Pays profondément jacobin, elle a choisi une organisation centralisée et concentrée. Les filières par type de déchets sont nationales et ne comptent parfois qu’un ou deux éco-organismes, à l’instar d’Eco-Emballages qui dispose d’un monopole pour les emballages ménagers.
Ces éco-organismes, à but non lucratif, contrairement à leurs voisins d’outre-Rhin, sont détenus et financés par les entreprises dont les produits sont à l’origine des déchets, selon le principe du pollueur-payeur. Le système français de responsabilité élargie du producteur (REP) est unique en Europe et, une fois n’est pas coutume, Bruxelles, qui se penche sur les divers modèles européens dans l’idée de les harmoniser, regarde l’organisation française d’un oeil favorable.
Car depuis leur mise en place en 1992, les filières REP ont fait leurs preuves sur de nombreux aspects. Elles trouvent pourtant aujourd’hui leurs limites, comme l’a souligné un rapport de la Cour des comptes paru en fin d’année dernière. « L’objectif de 75 % de recyclage des déchets ménagers apparaît clairement hors d’atteinte à l’échéance prévue », constate la Cour des comptes. Le taux stagne à 67 % depuis des années. Quant aux déchets d’équipements électriques et électroniques, « en 2014, le taux atteignait à peine les 30 % », déplorait, il y a quelques jours, UFC-Que Choisir, en soulignant la responsabilité des professionnels de la distribution dans cet échec, et les règles de collecte trop complexes.
Il n’est pas question de comparer ces taux avec ceux de l’Allemagne : elle ne les calcule pas de la même manière, ce qui gonfle le taux allemand de traitement, notamment pour les déchets électriques. Il n’existe pas en Europe de méthode de calcul unifiée, les taux remontés par les pays ne sont donc jamais comparables et la France a surtout le tort d’avoir des calculs rigoureux qui n’embellissent pas ses chiffres.
Ses vrais problèmes sont ailleurs. Si les taux de recyclage sont difficiles à améliorer, cela tient en partie à la construction du dispositif des REP. Il fait peser sur les éco-organismes des objectifs de performance dont la réalisation dépend moins d’eux que des collectivités locales, véritables chevilles ouvrières du traitement des déchets, remarque la Cour des comptes.
Bureaucratie
Par ailleurs, selon un travers bien français, les REP se sont enfoncées dans la bureaucratie. Ainsi, le calcul par Eco-Emballages des éco-contributions à percevoir de ses entreprises actionnaires et des soutiens financiers à verser aux collectivités locales pour le traitement des déchets est excessivement complexe et ne tient pas assez compte des spécificités locales, juge la Cour des comptes. Les collectivités locales, elles, se plaignent que leurs coûts ne sont en fait pas couverts. Mais comme elles n’ont pas de comptabilité analytique, bien malin qui saurait dire quels sont leurs coûts réels. Bref, les torts sont partagés, mais la situation débouche sur une question dérangeante : le pollueur est-il vraiment encore le payeur, conformément au principe fondateur du système à la française ? Non, clame l’Association nationale des REP, qui réclame une réforme des filières accordant plus de poids aux collectivités locales. Au final, bien que l’organisation soit différente des deux côtés du Rhin, la fronde est la même
Les Echos 01/02/2016