La révolution digitale permet de rendre accessibles à tous certains biens et services autrefois réservés à quelques « happy few ».
ENTREPRISE L’avènement des plateformes collaboratives et de l’économie du partage a développé une « France du Bon Coin », selon l’expression du chercheur David Mescaré, où les Français partagent leur voiture sur BlaBlaCar et louent une chambre sur Airbnb. Mais à côté de ces services très grand public, une catégorie de start-up tente de se positionner à l’autre bout de la chaîne et de mettre l’exceptionnel à la portée des particuliers. C’est le cas de LeCollectionist.com, qui se positionne comme l’Airbnb du luxe, de Dymant, start-up qui propose en série limitée les créations exclusives d’artisans d’exception, Rebagg, qui rachète des sacs haut de gamme et les revend en ligne, etc.
Alors que la mode des applications mobiles a encouragé les start-up à développer des services à bas prix pour le plus grand nombre, ces start-up de l’exceptionnel visent, elles, les happy few sur des marchés de niche avec des prix élevés. Une partie d’entre elles ne dégageront peut-être jamais de bénéfice et disparaîtront. Mais elles ont le mérite d’offrir un service qui fait rêver et lève le voile sur un autre pan de l’économie numérique.
« Ces start-up évoluent sur des marchés plus que pérennes, dont le succès est fondamentalement lié à l’explosion du numérique. Le fait de rendre l’inabordable accessible au plus grand nombre, c’est en fait la proposition de valeur de l’essentiel des start-up numériques BtoC », explique Numa Bourragué, directeur associé d’eCap Partner, banque conseil en fusions-acquisitions spécialisée dans le numérique. Fondée il y a quatre ans par deux jeunes diplômés de l’EM-Lyon, eCap Partner est elle-même une start-up qui vient bousculer l’univers feutré et ultrasélectif des banques d’affaires… « Cet accès nouveau à des services exceptionnels s’explique par la baisse du coût de ces services grâce à une désintermédiation : baisse du coût des salariés qui s’occupaient de l’intermédiation à la main, baisse du nombre de commerciaux, moins de logistique, des postes physiques désormais remplacés par des algorithmes », poursuit Numa Bourragué.
« Ces entreprises de forte croissance ont un business model à fort potentiel », confirme Grégoire Sentilhes, président de Citizen Entrepreneurs et du fonds Nextstage, qui a par exemple investi dans Expertissim. Ce site permet aux particuliers d’accéder aux meilleurs experts français et mondiaux dans le domaine de l’art pour acheter, vendre et authentifier la valeur d’un tableau, de bijoux, meubles, vins, etc. « Vous pouvez désormais accéder aux services de Me Turquin, un des plus grands experts d’antiquités, pour un tableau hérité de votre grand-mère ! Ce qui n’était pas possible autrefois le devient grâce à la mise en commun d’une expertise, d’une logistique via les plateformes digitales et des offres à forte valeur ajoutée sont rendues accessibles », observe Grégoire Sentilhes.
Une logique qui s’applique à de très nombreux marchés, y compris l’immatériel : avec les Moocs, les particuliers peuvent avoir accès à des cours en ligne de très haut niveau, avec les meilleurs experts, comme le cours sur la « culture digitale » sur Coorp Academy. Au-delà même du prix, c’est vraiment l’accès à l’exceptionnel qui est aujourd’hui rendu possible grâce à la révolution digitale !
Opéra à domicile, avion privé, œuvres d’art… Les offres se multiplient
u Myprivateopera.com permet aux particuliers d’inviter chez eux un chanteur d’opéra, un orchestre ou d’organiser un concert privé sur mesure. « L’objectif est de sortir l’opéra des lieux classiques et de permettre à n’importe quel amateur d’avoir un concert chez lui avec des artistes de très bon niveau », explique Jérémie Viel, 31 ans (Télécom Paris, Edhec), qui a décidé de donner libre cours à sa passion pour l’art lyrique après avoir travaillé chez Areva et au Crédit agricole. Myprivateopera séduit les particuliers, plutôt CSP+, pour des événements familiaux. Profil type ? Une personne qui, pour fêter ses 50 ans, fait venir un pianiste et deux chanteurs, avec un programme « Best of de l’Opéra » d’airs connus que leurs convives reconnaissent. Le tarif ? Environ 3 300 euros pour la prestation et 500 euros pour la location du piano. Mais myprivateopera propose aussi des harpistes (1 300 € pour 1 h 30), des pianistes concertistes (2 000 € pour 1 h 15 de récital), etc. « Il y a un tas d’artistes d’excellent niveau, en début de carrière, dont la renommée est encore à construire. Cela nous permet de proposer des tarifs attractifs par rapport à des artistes de plus grande renommée », explique Jérémie Viel. Tous sont issus des meilleures formations.
L’entrepreneur a ainsi réussi à mobiliser un réseau d’artistes qualifiés qui lui permet de répondre à toutes les demandes. Y compris quand une conciergerie d’hôtel lui demande d’organiser en 48 heures un concert dans la chambre d’un client ! « Si le client ne veut que des suites de Bach au violoncelle, on lui trouve l’artiste, indique-t-il. On est sur un marché type robe de mariée : les clients font appel à nous une fois, sont ravis du résultat dans 99 % des cas, mais ne reviennent pas forcément car cela reste de l’exceptionnel. Il faut donc en permanence trouver de nouveaux clients. »
u Wingly propose aux particuliers de faire un tour en avion privé – ou en hélicoptère – au-dessus du Mont-Saint Michel, des châteaux de la Loire, de leur ville… ou de leur propre maison ! « Nous sommes le BlaBlaCar de l’aviation », résume Bertrand Joab-Cornu (Supaéro, Polytechnique), cofondateur du site de coavionnage Wingly. Le principe est simple : les pilotes amateurs postent sur le site leurs vols et proposent les places vides aux particuliers. Une manière pour eux de réduire le prix de location de l’avion et de permettre à chacun de s’offrir une balade dans les airs à moindre coût. Un Paris-Belle-Ile est proposé à 105 euros, un Nice-Ajaccio, 55 euros, un tour au-dessus de Cannes, 52 euros… « Le pilote réduit ses coûts, valide ses heures de vol, partage sa passion et trouve quelqu’un à qui parler, explique Bertrand Joab-Cornu. Pour le passager, c’est le moyen d’accéder à un loisir d’exception qu’il ne pourrait s’offrir autrement. » Lancé en fanfare en juillet 2015, le site surfait sur l’engouement du public et comptait fin août 90 propositions de vols. « Saisie par le lobby des avions-taxis commerciaux qui se sentaient concurrencés, la direction générale de l’aviation civile souhaite désormais nous imposer un certificat de transporteur aérien, regrette Bertrand Joab-Cornu. C’est comme si BlaBlaCar devait disposer de licences de taxi ou Airbnb d’une licence d’hôtelier ! » Wingly, qui compte 20 000 fans sur Facebook, entend faire prévaloir ses arguments. Une pétition sur Change.org a réuni 3 000 signatures. « Notre activité est toujours légale. Un pilote privé a le droit de partager ses frais de vol avec un passager, selon un arrêté de 1981 et la réglementation européenne de 2014. Mais nous avons moins de vols proposés sur la plateforme car les aéroclubs attendent une clarification légale », explique Bertrand Joab-Cornu. Wingly attend notamment son salut de l’Allemagne, où il a lancé son activité cette semaine… avec tous les feux verts réglementaires !
u Boaterfly qui se présente comme « l’Airbnb du nautisme », permet de louer un bateau (à moteur ou à voile) avec ou sans skipper. « Fan de bateau, je me suis rendu compte qu’il y avait une demande, non satisfaite, de gens qui n’ont pas la compétence pour naviguer seuls ou qui n’en ont pas les moyens », explique Ronan Kervadec, cofondateur du site, avocat de profession et président du collectif de start-up Cocollabs. Avec une flotte de 1 500 bateaux dans 25 pays, Boaterfly met ainsi la plaisance à la portée de tous, avec des prestations exceptionnelles comme un catamaran à Tahiti ou un yacht de 28 mètres aux Seychelles ! La start-up se rémunère en prélevant une commission de 13,5 %.
u Artistics.com, galerie d’art contemporain en ligne, propose d’acheter des œuvres originales dans la sculpture, le dessin, la photographie, la peinture. « Nous réalisons des vidéos sur chaque artiste, sa démarche, sa façon de travailler afin de recréer un lien entre l’amateur d’art et l’artiste », explique Sonia Rameau, fondatrice d’Artistics. La fourchette de prix est large : de 190 euros à 80 000 euros pour les œuvres monumentales, avec un prix moyen entre 2 000 et 3 000 euros. « Les amateurs d’art sont souvent intimidés à l’idée d’entrer dans une galerie, où les prix ne sont pas toujours affichés. Avec le Web, ils ont accès à une information transparente et détaillée, à la fois sur les œuvres et sur l’artiste », indique Sonia Rameau. Alors que les galeries physiques voient parfois le Web comme une menace, l’entrepreneuse les juge au contraire complémentaires. « Le galeriste classique a une zone de chalandise réduite. Nous cherchons partout des gens qui n’ont pas facilement accès à l’art, comme dans les villes moyennes et certains pays où l’offre est plus restreinte », poursuit-elle. Toutes les œuvres sont vendues avec un certificat d’authenticité, et le client dispose d’un délai de rétractation de 14 jours à réception. « Nous recherchons l’authenticité, ne vendons que des œuvres originales, des produits uniques », conclut Sonia Rameau.