« Demain », un phénomène de société

A la fin du film, après de longs applaudissements, une personne s’est levée dans la salle comble du cinéma. « Je repars plein d’espérance. Et en espérance, je m’y connais un peu. » C’était monsieur le curé. A Dreux (Eure-et-Loir) comme partout où il est projeté, le documentaire ­Demain a déclenché un enthousiasme inédit qu’attestent les chiffres. Déjà 500 000 spectateurs depuis la sortie, le 2 décembre  2015, du manifeste de Cyril Dion, militant écologiste, et de l’actrice Mélanie Laurent qui, ensemble, ont parcouru la planète pour recenser les initiatives susceptibles de la sauver.

Le père Jean-Marie Lioult, à la tête de la paroisse Saint-Etienne en Drouais, n’oubliera pas cette fin d’année 2015, au cinéma de sa ville. «  J’ai dit : “Sur les 400 personnes présentes, il y a au moins une moitié de Drouais. Qu’est-ce qu’on attend pour se mettre en route ?” On s’est parlé, puis on a organisé une marche pour le climat, avec 250 personnes, on a monté des comités qui travaillent sur une monnaie locale, des ruchers, des jardins partagés, sur les pistes cyclables et le bio dans les cantines… »

C’est l’histoire d’un petit documentaire, sur lequel aucun professionnel n’entendait miser un euro, qui se transforme en phénomène de société. Il a d’abord fallu le succès fulgurant d’une campagne de financement participatif, sur le site de la Kisskissbankbank, durant l’été 2014, pour que les chaînes de télévision s’y intéressent. Quasiment 450  000 euros récoltés en deux mois, auprès de plus de 10  000 donateurs. La suite est à l’avenant. Le documentaire déjoue les lois classiques du cinéma. Son audience ne chute pas de semaine en semaine, elle grimpe, et avec elle, la joie du distributeur, Stéphane Célérier, président de Mars Films. «  Nous avons multiplié par dix la fréquentation de la première semaine, comme l’avait fait le film Intouchables. C’est totalement exceptionnel pour un documentaire sur l’écologie.  »

Un «  road movie  » planétaire

On vient en famille, on revient avec les amis, on griffonne même des notes dans le noir. On s’extasie sur les réseaux sociaux, qui font caisse de résonance (100  000 amis du film sur Facebook). Avec, dans les messages, des soleils, des cœurs, des smileys et des « Merci ! » à en écœurer les moroses. «  Une bouffée d’oxygène  », lit-on. Et plus loin  : «  Rentrée avec l’envie d’acheter un vélo et de créer un potager de quartier  », «  Adressez une copie à nos politiques de tout poil !  » ou «  Ce film devrait être projeté dans tous les collèges et ­lycées  ». Sur son site Internet, des Français qui se découvrent écologistes racontent les groupes créés pour mette en œuvre les solutions exposées.

Bien mené, joliment filmé, raconté comme une histoire, un road movie planétaire, Demain ressemble bien davantage à un film de cinéma qu’à une vidéo pour soirée militante. Il vient d’être sélectionné aux Césars. Il a bénéficié de la meilleure note moyenne attribuée, en 2015, par les spectateurs sur le site AlloCiné. Ni ennuyeux, ni technique, ni ­anxiogène, il capte l’attention des plus rétifs à la cause verte en jouant l’humain (les pionniers charismatiques) et le concret (les initiatives locales). La transition écologique s’incarne. Elle devient possible. Etonnamment souhaitable, même.

Cyril Dion, le réalisateur du film, par ailleurs cofondateur en 2007 du mouvement Colibris avec Pierre Rabhi, savoure l’engouement. «   L’annonce de catastrophes déclenche peur, déni, repli, tandis que là, nous donnons légitimité et courage à ceux qui agissent, ou veulent le faire.  » Côté associations de défense de l’environnement, la vulgarisation réussie des solutions promues depuis si longtemps ne peut que réjouir. Le succès inattendu de Demain, veut-on croire, pourrait même être le signe d’un moment de bascule. D’une «  maturité  », selon Cyril Cornier, de Greenpeace France. «  Les énergies renouvelables, les monnaies locales, les entreprises coopératives, le fait de manger moins de viande et seulement bio, tout cela n’est plus le fantasme de quelques fous.  »

Dans une France qu’assombrissent crise et terrorisme, ce documentaire est un « souffle d’espoir  », «  espoir qui ne relève pas de la méthode Coué mais qu’étayent des réalisations concrètes  », ajoute Nicolas Hulot. «  Ce film présente aux spectateurs des gens qui ne sont pas dans la lumière mais qui créent, inventent, préparent l’avenir. Il les sort de l’impasse.  » Cyril Dioncompte bien les guider plus loin. Un «  Après-demain  » est en réflexion, qui appellera à une sorte de «  révolution d’un nouveau genre  ». Il y aurait, perçoit-il, comme un vide de projet poli­tique à combler.

Le Monde 02/02/2016