Comment subvenir aux besoins alimentaires de 10 milliards d’êtres humains d’ici à une trentaine d’années? Une partie de la réponse passe par le développement de l’agriculture urbaine.
En 2050, la population mondiale atteindra près de 10 milliards dont 7,5 milliards dans les villes. Pour nourrir ces nouveaux urbains, la production alimentaire devrait augmenter de 70 % en 40 ans. À l’agrandissement des fermes et à l’exploitation de nouvelles surfaces, d’autres préconisent le développement de l’agriculture urbaine.
Des fermes perchées
Dans les grandes villes, une nouvelle forme d’agriculture urbaine émerge. Avec l’agriculture sur les toits – roof-top agriculture – il s’agit de créer de nouveaux lieux de production. Au cours des dernières années, de nombreux projets ont vu le jour en Amérique du Nord. À New York, on estime que l’agriculture sur les toits représente un potentiel de 12 millions de mètres carrés. C’est d’ailleurs à Brooklyn et dans le Queens que se trouve, Gotham Greens, société spécialisée en cultures hors sol. Un total de 10 000 m² répartis sur les toits de 3 entrepôts ont permis une production annuelle de 227 tonnes de légumes (salades, tomates…). De son côté, Brooklyn Grange revendique la production de près de 25 tonnes annuelles de légumes à l’instar des fermes Lufa à Montréal qui installent sur les toits de vastes entrepôts des potagers géants dont la production est vendue localement.
Une agriculture d’intérieur
Cette forme de culture sur les toits ne pourra à elle seule répondre aux énormes besoins alimentaires des villes de demain. Seules des fermes verticales pourraient être à même de proposer le développement d’une agriculture urbaine à grande échelle. On associe souvent l’idée de construire ces fermes d’un genre nouveau au microbiologiste américain, Dickson Despommier , qui part de l’idée qu’un hectare d’agriculture verticale équivaudrait à 10 hectares de ferme horizontale. Grâce à ces formes d’agriculture hors-sol – a gricultures hydroponiques ou aquaponiques –, les végétaux poussent à l’intérieur de vastes bâtiments équipés de bacs gorgés de sels minéraux et de nutriments.
À Singapour, et pour limiter la dépendance alimentaire de cette ville-État, les autorités encouragent les nouvelles formes de cultures urbaines. SkyGreen fait figure de pionnière : cette société fait pousser des légumes (chou chinois, salade, épinards…) dans des bacs en hauteur. Reposant sur un mécanisme de poulies, ces bacs qui contiennent les jeunes pousses montent et descendent sans cesse afin de permettre à ces plants de capter la lumière naturelle et de se nourrir en nutriments une fois les bacs redescendus à hauteur des réservoirs à nutriments.
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Aux États-Unis, dans la région de Chicago, FarmedHere, se veut être l’une des plus grandes fermes aquaponiques intérieures au monde. Sur 8500 mètres carrés, la production alimente près de 80 magasins locaux. Outre que ce type de fermes d’un genre nouveau peuvent produire 10 à 15 fois plus de récoltes par an que l’agriculture traditionnelle elles permettent, là où les conditions climatiques sont incompatibles avec la production locale de fruits et de légumes en extérieur, de réduire sensiblement les importations alimentaires.
« La réponse technologique »
Ailleurs, où l’ensoleillement est faible, ces fermes verticales présentent l’inconvénient de se transformer en bâtiments énergivores. Pour contourner cette contrainte qui ne va évidemment pas dans le sens d’une ville frugale, la réponse technologique repose sur la généralisation de diodes électroluminescentes, les fameuses LED. Ces lumières artificielles permettent de simuler assez finement le rythme des saisons en faisant varier quantité et couleur de la lumière. En Hollande, dans des serres installées près de Rotterdam, des scientifiques aidés d’ingénieurs en informatique ont créé de véritables soleils artificiels. En utilisant différents types de couleurs et en les faisant varier, ces informaticiens-agriculteurs travaillent à l’élaboration de recettes de lumière élaborées en fonction des objectifs de rendements à atteindre. En combinant la luminosité, il devient possible d’influencer la floraison, la taille, mais aussi les qualités nutritives des plantes.
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Chaque jour, de nouvelles découvertes tendent à démontrer que l’agriculture intensive n’est plus la panacée et qu’il faut, à un moment où les rendements s’épuisent, en raison notamment du réchauffement climatique, passer à un autre modèle. Que l’on appelle cela « agriculture raisonnée » ou « maitrisée », les villes ont une carte à jouer en faveur de ces futurs besoins alimentaires et de la lutte contre le réchauffement climatique. Si l’agriculture réussit son mariage avec la ville, toutes deux en tireront bénéfice tant pour faciliter les approvisionnements logistiques que pour influer sur le climat. C’est cette « ville bio », durable et innovante qui permettra à l’agriculture et à l’alimentation citoyenne (thème de la 53e édition du Salon de l’agriculture) de nourrir les futurs 10 milliards d’habitants qui peupleront la terre dans moins de 35 ans.
Philippe Boyer est l’auteur de « Ville connectée = vies transformées, notre prochaine utopie » (Editions Kawa)
Les Echos 28/02/2016