Un étudiant français sur trois a étudié en partie à l’étranger

Les étudiants français ont-ils pris le tournant de la mondialisation ? A cette question, Campus France, l’agence publique chargée de défendre l’enseignement supérieur français à l’étranger, apporte une réponse mitigée. Dans une étude, dont Le Monde a eu la primeur, elle montre notamment qu’en 2013 seuls 3,5 % des étudiants ont étudié hors des frontières ou que deux tiers ont terminé leur cursus sans aucune expérience de séjour à l’étranger.

Campus France a recueilli en 2015 le témoignage de 26 000 étudiants issus de 330 établissements. Et a également recoupé les données recueillies en 2013 par l’Unesco. Résultat : 73 400 Français étudiaient à l’étranger, soit 3,5 % des 2,1 millions d’étudiants français en France, et 3,1 %, si l’on prend en compte les 300 000 étrangers qui étudient en France. A titre de comparaison, en Allemagne, le taux est de 4,3 %. Il monte à 7 % en Norvège.

A première vue, 3,5 %, cela semble très peu. Mais la moyenne mondiale ne s’établit qu’à 1,8 %. Ensuite, si l’on prend en compte le nombre d’étudiants expatriés – et non plus la part qu’ils représentent –, la France fait plutôt bonne figure. Avec 73 400 étudiants partis, elle est 5e ex aequo avec l’Arabie saoudite. Les deux premiers sont la Chine et l’Inde, qui « exportent » respectivement 710 000 et 180 000 jeunes. Ces deux pays peinent en effet à répondre à leur demande interne. L’Allemagne, 3e, applique quant à elle une politique très volontariste.

« Génération ouverte sur le monde »

L’enquête de Campus France révèle, par ailleurs, que deux tiers des étudiants français terminent leurs études sans aucune expérience de séjour à l’étranger. « Nous avons essayé, dans mon université [Rouen] de favoriser le départ des étudiants, explique Jean-Luc Nahel, coordinateur des activités internationales à la Conférence des présidents d’université, mais nous avions du mal. Contrairement à ce que l’on croit, l’expatriation n’est pas un réflexe. » Partir deux ou trois semaines au bord de la Méditerranée avec des copains n’est pas la même chose qu’aller étudier six mois ou un an à l’étranger. L’éloignement de la famille et du (de la) petit(e) ami(e) peut vite devenir pesant.

D’ailleurs, quand on demande aux étudiants les raisons pour lesquelles ils ne veulent pas – ou ne peuvent pas – partir, quatre réponses recueillent chacune quelque 30 %. Parmi elles : le fait de ne pas avoir envie de quitter son environnement de vie. « Le manque d’envie fait partie des éléments qui remontent souvent du terrain », abonde Stéphan Vincent-Lancrin, analyste senior à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Là encore, une nuance s’impose : l’enquête montre en effet que 94 % de la génération actuelle des étudiants a déjà voyagé dans le passé, le plus souvent dans le cadre familial et touristique. « C’est une génération ouverte sur le monde, analyse-t-on à Campus France. Dans les années 1970, c’était A nous les petites anglaises. Dans les années 1990, L’Auberge espagnole. Aujourd’hui, c’est l’exotisme pour tous : la Thaïlande pour les moins fortunés et l’Amérique du Nord pour les autres. »

Donc, l’étranger, oui, mais pour le plaisir. Car partir pour « être plus compétitif sur le marché de l’emploi » n’est une motivation que pour quatre étudiants sur dix, tandis que 83 % mettent en avant « l’envie de voyager, de découvrir d’autres cultures », et 65 %, l’apprentissage d’une langue. Quand ils partent. De fait, 38 % des étudiants ne voulant ou ne pouvant partir considèrent que leur niveau linguistique « rend impossible le séjour ». Et pourtant, « désormais seuls deux étudiants sur dix n’ont aucun cours de langue obligatoire dans leur cursus », note Campus France. « On a fait beaucoup, assure M. Nahel. Aujourd’hui 1 250 diplômes universitaires sont dispensés majoritairement en anglais. Mais on a toujours un problème en France. Les gamins ne sortent pas du lycée avec un anglais fluide. » M. Vincent-Lancrin confirme cette spécificité française : il n’y a qu’en France, relève-t-il, que l’on met cet argument linguistique en avant. Partout ailleurs, c’est le coût du séjour à l’étranger qui constitue le premier obstacle au départ.

Les subventions ne font pas tout

Quoique secondaire, la question du budget importe, cependant, en France aussi. Campus France a calculé que le coût d’un séjour de six mois s’élevait en moyenne à 6 100 euros. Certes, quatre étudiants sur dix bénéficient d’une aide publique, laquelle couvre environ 40 % des frais.

Mais ces subventions ne font pas tout. Même si certaines régions sont très généreuses (jusqu’à 4 300 euros en Rhône-Alpes), « les aides publiques corrigent imparfaitement, voire aggravent les inégalités », note Campus France. Ainsi, la moitié des étudiants issus de familles connaissant de graves problèmes financiers assure n’avoir reçu aucune aide, quand 28 % de ceux dont les familles possédant un « niveau de vie très confortable » en ont, eux, bénéficié. « Les étudiants issus des foyers les plus aisés ont 66 % plus de chances de profiter d’une expérience internationale que les étudiants les plus modestes », note Campus France.

Et l’argent ne fait pas tout. Si c’est dans les familles les plus riches, où les parents ont eux-mêmes suivi des études supérieures, qu’on encourage le plus – et de loin – à l’expatriation, le contexte d’études joue également un rôle décisif. A l’université, les trois quarts des étudiants ne partent pas, contre 19 % seulement dans les grandes écoles. Dans celles-ci, l’expérience internationale est une tradition établie, souvent obligatoire. Côté universitaire, quatre étudiants sur dix ignorent qu’un service accompagnera leur départ à l’étranger. 5 % affirment même que les enseignants les dissuadent de s’exiler. « Il faut nuancer, tempère M. Nahel. Pour les étudiants qui se destinent à la recherche, il est souvent plus pertinent d’attendre le doctorat pour s’expatrier. Il est donc possible que certains enseignants conseillent de se dépêcher de faire le Master en France avant de partir dans un bon labo à l’étranger, ce qui est la clé pour donner du poids à sa thèse. »

Le Monde 23/03/2016