Le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, y voit une opération logique, la CGT une étape de plus sur la voie du démantèlement de l’opérateur historique : la moitié du capital de Réseau de transport d’électricité (RTE), gestionnaire des 105 000 kilomètres de lignes à haute tension, est appelée à changer de main. Depuis des mois, le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, annonce que cette opération se fera tôt ou tard. Elle s’inscrit dans le cadre du redressement de la trajectoire financière d’EDF, qui va pâtir, dans les prochaines années, de l’effondrement des prix de gros de l’électricité en Europe.
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Créé sous forme de société anonyme en 2005, RTE a pour mission stratégique d’équilibrer en temps réel production et consommation de courant afin d’éviter tout black-out. La société est une filiale virtuelle d’EDF. L’électricien détient 100 % du capital de cette dernière. En vertu des règles européennes, producteurs et transporteurs d’électricité doivent en effet être indépendants afin que tout fournisseur de courant puisse accéder sans discrimination aux lignes à haute tension, comme à celles du réseau de distribution géré par ERDF. Dans de nombreux pays européens (Allemagne, Italie, etc.), les exploitants des réseaux n’ont plus de liens, y compris capitalistiques, avec leur ancienne maison mère.
M. Lévy juge que la présence d’un actionnaire détenant 100 % du capital mais aucun pouvoir sur la gestion, l’investissement et la stratégie n’a « aucun sens ». D’où sa volonté d’en céder 50 %, l’autre moitié étant un actif du fonds de démantèlement des centrales nucléaires. Les statuts de RTE prévoyant que « la totalité du capital de la société doit être détenue par EDF, l’Etat ou d’autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public », la Caisse des dépôts a vocation à y jouer un rôle important, estime M. Macron. L’institution en tirerait un revenu sûr et récurrent tout en confortant l’un de ses axes stratégiques : participer activement à la transition énergétique dans les territoires.
La CGT y est hostile
Combien vaut RTE ? Plusieurs analystes l’estiment à 5 milliards d’euros, soit 2,5 milliards de recettes potentielles pour EDF, sans compter une dette de 8,3 milliards. EDF en demandera sans doute le maximum, assorti d’une « prime » correspondant à la régularité des revenus que l’acheteur tirera de RTE. Ce produit de cession s’ajoutera à celui de la vente d’autres actifs (centrales au charbon par exemple) pour redresser sa situation financière et à l’aider à investir. Pour sa part, RTE souhaite gonfler ses fonds propres.
L’opération risque néanmoins de prendre un tour politique à la veille de l’élection présidentielle. La vente de RTE symbolisera le démantèlement d’EDF, conçue en 1946 comme une entreprise intégrée de production, transport, distribution et commercialisation de l’électricité. Puissante chez les ouvriers et techniciens, la CGT y est hostile. « Nous sommes opposés à toute ouverture du capital et à toute cession d’actif, y compris avec l’éventualité de prise de participation de la Caisse des dépôts », a-t-elle prévenu en janvier. Pour ce syndicat, la structure intégrée d’EDF « constitue l’optimum technico-économique » etil a été « mis à mal par les réorganisations du secteur par les gouvernements successifs sous la pression de Bruxelles ».
La prudence est donc de mise. Au sein de la maison mère, on ne veut pas réduire la cession de ce qui fut jadis la « direction transport » d’EDF à une pure et simple opération financière. Et Bercy préfère désormais insister sur l’importance du projet industriel de RTE. « Il était temps », souffle, agacé, l’un de ses dirigeants. Le président du directoire, François Brottes, a d’ailleurs annoncé, en janvier, que des changements interviendraient d’ici l’été pour adapter l’entreprise aux défis du déploiement des énergies renouvelables.
RTE affiche une bonne rentabilité
RTE affiche une bonne rentabilité. Si son bénéfice a baissé de 43 % en 2015 (215 millions), c’est en raison d’une règle fiscale européenne sur les provisions nouvellement introduite. Mais son chiffre d’affaires (4,6 milliards) et sa performance opérationnelle ont progressé grâce au dynamisme des échanges d’électricité avec les pays voisins et à des conditions climatiques favorables. RTE, qui a investi 1,4 milliard en 2015, devra accroître cet effort pour renouveler des ouvrages sur le réseau, renforcer la sécurité du système électrique et raccorder des parcs éoliens offshore à l’horizon 2020.
Les ventes des réseaux sont la règle dans le gaz comme dans l’électricité partout en Europe depuis la fin des monopoles, pendant les années 2000. La France s’y est mise avec retard, et RTE est le dernier sur la liste.
Le Monde 28/03/2016