Grands lacs africains, sanctuaire népalais des derniers tigres sauvages, forêts primaires, grands récifs de corail : les trésors naturels de la planète sont en danger. L’Unesco a inscrit sur sa liste du patrimoine mondial 229 de ces sites précieux disséminés dans une centaine de pays : 34 pour leur richesse naturelle et culturelle à la fois, 197 uniquement pour la beauté de leurs paysages et la qualité de leurs écosystèmes. Chaque site présente une « valeur universelle exceptionnelle ». Mais ce classement ne constitue pas une garantie de protection.
Dans un rapport rendu public mercredi 6 avril, le WWF, le fonds mondial pour la nature, qui a recensé l’ensemble des sites, pousse un cri d’alarme. Selon l’ONG, près de la moitié de ces emblèmes de la biodiversité – 114 exactement –, est aujourd’hui soumise à des menaces émanant essentiellement de l’industrie : activités pétrolières et gazières, extraction minière, exploitation forestière illégale, construction de grandes infrastructures, surpêche, ou encore consommation excessive des ressources en eau.
Logique économique
Près d’un site classé sur cinq accueille dans son périmètre une concession d’hydrocarbure, malgré l’engagement pris à partir de 2003 par certaines grandes compagnies minières et pétrolières (notamment Shell, Total, Tullow) de s’abstenir d’y mener leurs activités. L’Afrique subsaharienne souffre de la situation la plus critique : 71 % des aires à préserver (30 sur 42) sont confrontées à un ou plusieurs de ces fléaux environnementaux, ce qui peut avoir un impact direct sur les moyens d’existence de 1,8 million de personnes. Le tableau est le même dans au moins 54 % des cas en Asie, Amérique latine, et dans les Caraïbes.
Alors qu’ils font la fierté des gouvernements concernés au moment d’être distingués par l’Unesco, les lieux élus au patrimoine mondial sont ensuite victimes des entorses aux règlements censés les protéger. Une grande route par-ci qui fragmente l’habitat de la faune locale, un permis de bétonner par-là avec son lot de pollution : c’est une vision de court terme qui s’impose au nom de la logique économique.
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Pourtant « la protection des aires naturelles et des écosystèmes ne fait pas obstacle au développement, écrit Marco Lambertini, Directeur général du WWF International. Au contraire, elle va dans le sens d’un développement soutenable et robuste qui profite sur le long terme à la nature et à l’Homme et contribue à la fois à la stabilité sociale, la croissance économique et le bien-être de chacun. »
Lorsqu’elles sont en bon état, les vastes aires naturelles permettent de consolider la sécurité alimentaire des communautés locales, elles contribuent à réduire la pauvreté, à lutter contre le changement climatique et à atténuer les effets des catastrophes naturelles. Selon l’ONG, plus de 11 millions de personnes dépendent de ces sites pour subvenir à leurs besoins, se soigner, travailler.
Pour améliorer la gestion des sites, le WWF suggère d’impliquer les populations alentour et de redistribuer les retombées du tourisme haut de gamme. Cependant son rapport dessine surtout une palette étendue de calamités environnementales, d’autant plus dommageables qu’elles frappent des concentrés de biodiversité.
Trafic d’ébène et surpêche
Ainsi sur l’île indonésienne de Sumatra, les trois parcs nationaux composés de forêts humides dont dépendent plusieurs millions de personnes pour l’approvisionnement en eau, sont menacés à la fois par le prélèvement excessif du bois, par des routes, des voies ferrées, sans compter 27 concessions minières, trois pétrolières et gazières… Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’exploitation forestière illégale menace gravement 25 des 106 sites naturels du Patrimoine mondial. Le rapport cite le cas de Madagascar, où le trafic de bois de rose et d’ébène favorise au passage le braconnage des lémuriens, la détérioration de l’eau, les glissements de terrain…
Un cinquième des lieux classés se situe dans le milieu marin et pâtit globalement de la surpêche. Dans la région des Caraïbes notamment, le déclin des poissons herbivores conduit à l’effondrement prévisible des récifs coralliens, progressivement recouverts d’algues.
La gigantesque station balnéaire de Puerto Azul, à Belize, projette de construire une piste de formule 1 et un aéroport sur le sable prélevé dans la baie ! Or la faune marine exceptionnelle y souffre déjà des dégâts causés par un grand terminal de croisières et par les forages pétroliers en mer. Ainsi le récif-barrière de Belize, le plus grand de l’hémisphère nord, est-il désormais inscrit sur la liste du patrimoine mondial en péril, comme les forêts remarquables de Madagascar et de Sumatra.
La Réserve de Selous en Tanzanie l’est aussi depuis 2014 : déjà affectée par plus de 50 concessions vouées à l’extraction d’hydrocarbures et d’uranium entre autres, elle est à présent menacée par des barrages hydroélectriques. La population d’éléphants a fondu de 90 % depuis 1982, celle de rhinocéros noirs a « été pratiquement réduite à néant ».
Plus triste encore, le sort de l’oryx arabe d’Oman, dont le territoire a été amputé de 90 % au profit du pétrole. Là encore, les routes ouvertes pour l’activité industrielle ont favorisé le braconnage. Le nombre d’individus a chuté de 87 % entre 1994 et 2007, il ne resterait que des mâles actuellement. Le sanctuaire de l’oryx a été rayé de la liste du patrimoine mondial.
Le Monde 06/04/2016