Consensus sur l’apprentissage de la lecture

 

Présentées hier, les conclusions de la conférence de consensus qui s’était tenue les 16 et 17 mars à Lyon mettent en évidence la nécessité de travailler sur la compréhension parallèlement à la maîtrise du « code ».

Pour enrayer le creusement des écarts de niveaux, le jury préconise aussi d’inscrire l’effort d’apprentissage de la lecture dans la durée, y compris au collège.

La première conférence de consensus sur la lecture avait fait date. Organisée en 2003, en plein débat passionnel autour des méthodes – « b.-a.-ba » contre « globale » –, elle avait permis de conclure à l’inefficacité des approches idéo-visuelles, consistant à « photographier » les mots. À l’inverse, les experts s’étaient entendus sur l’impérieuse nécessité d’apprendre méthodiquement le « code », c’est-à-dire l’ensemble des principes régissant les correspondances entre les lettres (ou groupes de lettres) et les sons.

Depuis, d’innombrables études ont été conduites, en France et dans le monde, avec des conclusions similaires. Aussi, loin de remettre en cause ces acquis, la nouvelle conférence de consensus organisée à la mi-mars à Lyon par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) et l’Institut français de l’éducation (Ifé) aura surtout permis de valider les pratiques pédagogiques qui, à l’intérieur de ce paradigme, marchent le mieux.

Parmi les recommandations présentées hier à Paris, plusieurs portent, sans surprise, sur la maîtrise du code et l’identification des mots. « Dès la grande section de l’école maternelle, il faut enseigner aux élèves le principe alphabétique et leur faire acquérir la capacité d’analyser les mots oraux pour en identifier les composants phonologiques », avance le jury, composé d’experts, d’acteurs mais aussi d’usagers (parents d’élèves).

Puis au CP, il ne faut pas se contenter de faire « décoder » les mots, de les faire lire, y compris – c’est essentiel – à haute voix. Il faut aussi – car cela s’avère plus efficace – les faire « encoder », autrement dit passer des sons à l’écrit. Et ce, paradoxalement, en imposant un rythme relativement soutenu, même aux élèves les moins avancés, comme l’a montré une vaste étude menée par le chercheur Roland Goigoux et présentée dans le cadre de la conférence (lire La Croix du 17 mars). Il faut ainsi « introduire une dizaine de correspondances graphèmes-phonèmes dès le début du CP ». Car, souligne Jean-Emile Gombert, professeur émérite de psychologie cognitive et président du jury, « accéder rapidement à une autonomie de lecture est une formidable source de motivation ».

Autre point de consensus : on aurait tort de faire porter l’effort uniquement sur les débuts de l’apprentissage de la lecture, fin maternelle-début élémentaire. Alors qu’au fil des ans se creusent les écarts de niveaux, il importe de « poursuivre l’analyse phonologique et l’étude des correspondances graphèmes-phonèmes tant que l’élève éprouve des difficultés à oraliser les mots écrits, ceci tout au long du cycle 2 (NDLR : CP-CE1-CE2) voire du cycle 3 (CM1-CM2-6e) ».

Il est de même essentiel, insiste le jury, d’inscrire dans la durée les efforts en matière de compréhension, « aussi longtemps que nécessaire pour les élèves moyens ou faibles ». On se rend compte en effet que parmi les mauvais lecteurs, beaucoup n’ont pas trop de mal à déchiffrer les mots mais ne comprennent pas ce qu’ils lisent…

Y remédier suppose de « développer le vocabulaire et la compréhension orale dès l’école maternelle » et de « consacrer un temps conséquent à l’étude de la langue passe par un travail systématique sur la dimension linguistique (vocabulaire, morphologie, syntaxe, inférences, types de texte) ». Une attention à la langue qui doit s’exercer dans le cadre de tous les apprentissages, et pas seulement en français.

Ces pratiques validées, reste à les diffuser dans les salles de classe, alors que le corps enseignant se montre farouchement attaché à sa « liberté pédagogique ». D’où la suggestion de formations, initiales et continues, autour de la façon dont les élèves apprennent à lire.

En attendant, pour mettre en application une bonne part de ces recommandations, on mise surtout sur les nouveaux programmes du primaire et du collège attendus pour septembre prochain. « Des programmes qui, en matière de lecture notamment, n’ont jamais autant tenu compte des acquis de la recherche scientifique », vante Michel Lussault, leur principal artisan, par ailleurs directeur de l’Ifé.

La Croix 07/04/2016