Quand le « Guardian » révèle le côté obscur des commentaires de lecteurs

 

Les journalistes femmes sont systématiquement plus attaquées dans les commentaires que les hommes. C’est le « côté obscur » auquel le quotidien britannique tente de remédier.

La gestion des commentaires est une question épineuse pour les médias en ligne : quand certains sélectionnent manuellement des commentaires pour les mettre en avant, d’autres décident d’en fermer l’accès. Car s’il est un espace d’expression par excellence, Internet peut aussi laisser cours à des propos haineux allant jusqu’au harcèlement. Le « Guardian » a donc décidé de se plonger dans ses 70 millions de commentaires (entre janvier 1999 et mars 2016) afin d’en tirer quelques enseignements.

Quantitativement, l’étude tire une première conclusion : les journalistes femmes sont de loin les premières victimes de commentaires haineux. « Depuis 2010, les articles écrits par des femmes ont systématiquement attirés un plus grand nombre de commentaires bloqués que les articles écrits par des hommes », constate en effet le « Guardian ».

Pour faire arriver à cette conclusion, le quotidien britannique a classé par genre 12.000 auteurs, avant de s’intéresser à la proportion de commentaires bloqués sur leurs articles (sans tenir compte des commentaires sur les réseaux sociaux), c’est-à-dire ceux contrevenant à la charte du site. En tout, 2 % des commentaires du site (1,4 million) ont ainsi été éclipsés en sept ans.

Mieux vaut être un homme écrivant pour les sports

Dans le Top 10 des auteurs les souvent visés par ces commentaires se trouvent donc huit femmes et deux hommes noirs. Parmi ces dix personnes, deux femmes et un homme sont homosexuel(les). Le « Guardian » note également que sur ces huit femmes, l’une est juive, l’autre est musulmane. A contrario, les dix auteurs d’articles les moins « trollés » sont tous des hommes.

Cette étude quantitative montre également que moins les femmes sont représentées dans une section du site, plus elles y sont sujette à des commentaires haineux. La palme revient donc à la rubrique Sport (suivie de près par Monde et Technologies). Le mécanisme vaut aussi pour les hommes, qui recueillent plus de commentaires haineux dans la rubrique Mode où ils écrivent le moins.

Quant aux sujets, les plus clivants sont bien sûr plus sujets à débordements (le conflit israélo-palestinien enflamme plus le débat que ceux sur les mots-croisés). Le « Guardian » constate à cette occasion que ce sont les articles sur le féminisme, et même ceux liés aux viols, qui suscitent le plus de commentaires bloqués.

Comment mettre un terme au harcèlement en ligne

«  Imaginez devoir aller au travail tous les jours et affronter 100 personnes disant « Tu es stupide », « Tu es nulle », « Tu crains », « J’arrive pas à croire que tu es payée pour ça ». C’est une façon terrible d’aller travailler. », commente Jessica Valenti, éditoraliste au « Guardian ». Et même si cela est plus rare, ces attaques vont parfois jusqu’aux menaces de mort ou de viol à l’encontre de l’auteur. Sans parler de la xénophobie, du racisme ou de l’homophobie que certains sujets déclenchent.

Des abus qui se prolongent de plus en plus sur les réseaux sociaux, et poursuivent ainsi leurs victimes en dehors de leur travail. Le harcèlement en ligne est une véritable problématique qui concerne l’ensemble de nos sociétés, plaide le quotidien britannique, qui appelle ses lecteurs à faire part de leurs solutions . En attendant, un compteur tourne en bas l’article du « Guardian » : en l’espace d’une dizaine d’heures plus de 23.000 commentaires ont été publiés. Plus de 400 ont déjà dû être bloqués par les modérateurs.

Les Echos 13/04/2016