Première historique, elles sont désormais plus « éduquées » que leur mari. Mais les inégalités salariales demeurent.
FAMILLE La page du conte où la bergère épousait le prince charmant est-elle définitivement tournée ? Le cliché du médecin épousant l’infirmière ou du patron en couple avec sa secrétaire est-il devenu obsolète ? Alors que les femmes sont aujourd’hui plus diplômées que les hommes, une étude de l’Ined vient d’annoncer la fin d’un modèle traditionnel : celui de l’hypergamie féminine (couples dans lesquels la femme est moins éduquée que son conjoint). « J’ai fait des études plus longues que mon mari, je gagne plus que lui et il fait autant le ménage que moi. Je suis la femme du futur », s’amuse Madeleine*, 39 ans et un bac + 5 de lettres alors que son mari a un BTS de micromécanique en poche.
En épousant Philippe, titulaire d’un BEP option cuisine, alors qu’elle venait de décrocher un master gestion des entreprises, Beatrix a eu l’impression d’être une exception. « Mes parents ont très mal pris le fait que je m’intéresse à un garçon qui n’avait pas fait d’études, se souvient cette « quadra », mère de quatre enfants. Je n’étais pas programmée pour réussir mais pour faire un beau mariage. J’ai eu l’impression de transgresser un modèle en envoyant le message que mon statut ne dépendait pas de mon mari. » Aujourd’hui à la tête d’un site Internet, Beatrix juge qu’elle n’aurait pas eu le même parcours si elle était tombée dans les bras d’un ambitieux diplômé de grande école. C’est en effet Philippe, formateur dans une école de cuisine et à l’emploi du temps allégé, qui va chercher les enfants à la sortie de l’école et leur prépare le dîner tandis que son épouse se concentre sur sa carrière. Une situation pas si facile à assumer, même après 22 ans de mariage. « C’est un peu dévirilisant pour mon mari. Dans les soirées, il fait un peu prince consort, admet Beatrix. Les couples comme nous ne sont pas si fréquents et c’est délicat à gérer. Comme nous avons quatre enfants, on me dit encore parfois “Tu ne peux pas travailler de chez toi ?”»
Pour mesurer la fin de ce schéma sociologique « classique », le sociologue Milan Bouchet-Valat, auteur de l’étude de l’Ined, a comparé le niveau de diplôme des conjoints, lors de leur première union, pour les générations nées dans les années 1920 jusqu’à celles qui ont vu le jour dans les années 1970. La proportion de couples dans lesquels la femme est la moins diplômée chute rapidement pour les tourtereaux nés après guerre. Dans la génération née au début des années 1970, les couples dans lesquels la femme possède un diplôme supérieur à celui de son conjoint deviennent aussi fréquents que les couples d’un niveau d’étude équivalent, soit 40 %.
Au fil de l’élévation du niveau d’éducation des femmes, de leur arrivée massive sur le marché du travail, de la montée du chômage ou encore du développement de la contraception, le modèle traditionnel est ainsi devenu minoritaire. « La tendance semble en outre devoir se prolonger pour les cohortes plus récentes », précise le chercheur. À l’inverse de Beatrix et de Madeleine, les femmes n’ont cependant pas encore tiré un trait sur la domination masculine en matière d’emploi et de salaire, et ce même quand elles ont passé plus de temps que leur moitié sur les bancs de fac. « Les femmes ont beau faire plus d’études, seules 25 % gagnent aujourd’hui un salaire plus important que celui de leur conjoint », rappelle Antoine de Gabrielli, fondateur de l’association Mercredi-c-papa et créateur des « Happy Men » qui luttent contre les inégalités hommes-femmes en entreprise. « La fin de l’hypergamie féminine commence tout juste à faire évoluer les couples car le revenu occupe une place essentielle dans leurs stratégies et leurs choix de vie. Et quand la carrière de la femme est privilégiée par rapport à celle du mari, les remarques acerbes, voire humiliantes, de la famille et de l’entourage ne manquent pas de fuser. »
« Regarde tes amies qui se marient avec des ingénieurs et des médecins. Toi, ce n’est pas pareil… », n’ont pu s’empêcher de relever les parents d’Annabelle, bac + 5 diplômée de Science Po quand elle s’est installée avec Pierre, titulaire d’un bac + 3. La jeune femme, elle, ne s’est même pas posé la question des conventions sociales quand elle a croisé son regard. « Il travaillait déjà et je ne me suis pas interrogée sur nos différences de parcours. Ce qui m’a plu chez lui ? Sa gentillesse, sa sincérité, ses attentions… », confie la jeune femme en couple depuis cinq ans. À 31 ans, elle gagne depuis peu plus d’argent que l’élu de son cœur. « Je suis sans doute plus ambitieuse que lui, souligne-t-elle. Mais nous sommes dans un partage égalitaire des dépenses et des tâches ménagères ».
Le Figaro 09/05/2016