La révolution silencieuse des communes nouvelles

Avec plus de 300 entités créées en un an, la réforme de 2015 est une réussite… Grâce, tout de même, à des incitations fiscales avantageuses et au prix d’un certain nombre de « bugs » techniques.

La France n’est plus le pays des 36.000 communes. Un an après l’adoption de la loi du 16 mars 2015 relative à « l’amélioration du régime de la commune nouvelle » (dite loi Pélissard), le pays a vu leur nombre reculer de 36.700 à 35.885. Une centaine de fusions serait par ailleurs en projet. Avec le mariage d’un peu plus de 1.000 communes, le dispositif (amorcé par le vote d’une première proposition de loi de l’ancien président de l’AMF, en 2010) fonctionne. Il est en tout cas parvenu à initier ce que le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, n’avait pas réussi à lancer en 1971 : un véritable mouvement de fusion volontaire des communes.

Tous les territoires n’ont cependant pas prêté la même oreille aux arguments des promoteurs du projet. Alors que la Normandie enregistre un nombre record de 95 unions, on n’en recense par exemple aucune en Corse. Plus globalement, il existe très peu de fusions dans ce que les géographes appellent la « diagonale du vide » (zone s’étalant du Nord Est au Sud-Ouest).

Au total, cinq départements (La Manche qui remporte la palme avec 36 communes nouvelles, le Calvados, l’Eure, l’Orne et le Maine et Loire) réalisent près du tiers des unions. Avec 25 entités créées, le Maine-et-Loire en compte au final 30 % en moins ! « Il faut reconnaître que la loi NOTRe a accéléré leur naissance. Plus le seuil minimum d’habitants fixé pour une intercommunalité est élevé, plus l’incitation à en créer augmente », commente Catherine Deroche, sénatrice du Maine-et-Loire.

Carotte financière

Pour un certain nombre de maires, la commune nouvelle est perçue comme le moyen de continuer à exister. « Avec des intercommunalités XXL en face, les élus s’interrogent sur leur capacité à se faire entendre. La commune nouvelle doit leur permettre de peser davantage », indique Françoise Gatel, sénatrice et co-auteur d’un rapport sénatorial sur le sujet qui sera présenté lors du congrès des maires. « Cette structure respecte la volonté des élus et cela représente un immense atout. Il s’agit avant tout d’une union volontaire. Il est nécessaire de revisiter notre organisation territoriale, mais cette tâche doit incomber aux élus eux-mêmes», insiste pour sa part Rollon Mouchel-Blaisot, directeur général de l’AMF.

Dans un contexte de baisse des dotations, les motivations financières ont aussi joué à fond. L’engagement de l’Etat de les maintenir pendant trois ans, voire de les augmenter de 5 %, a, selon le rapport sénatorial de Françoise Gatel et Christian Manable, suscité un effet de levier sur l’ensemble des projets de regroupements qui ont pu naître en 2015. Pour toutes les communes nouvelles de moins de 10.000 habitants, le maintien est intégral : elles devraient recevoir la somme des dotations qu’avaient perçue celles membres l’année précédente. Le bonus de 5 % est attribué à celles ayant entre 1.000 et 10.000 habitants. L’AMF milite d’ailleurs aujourd’hui pour que l’incitation fiscale (les délibérations des conseils municipaux doivent intervenir avant fin juin 2016) soit prolongée de quelques mois. Autre concession prévue par la loi de mars 2015 : le maintien de l’ensemble des conseillers municipaux et communautaires jusqu’en 2020. Les anciens édiles deviennent pour leur part maires délégués de la commune nouvelle. Les mairies concernées n’ont pas été oubliées : elles subsistent en tant qu’annexes, pour la délivrance d’actes d’état civil et la célébration de mariages. Conséquence : dans certaines structures, le nombre de conseillers pourra dépasser 200… Attention à l’atterrissage ! « En 2020, certaines communes devront passer du jour au lendemain de 220 à 60, voire 40 élus », met en garde Christian Manable, sénateur de l’Aisne. « Les communes nouvelles qui réussiront sont celles qui se fondent sur un projet clair et précis. (….) Tous les habitants doivent pouvoir s’identifier au nouveau projet, au nouveau périmètre du territoire et au nouveau nom de la commune », indique le rapport parlementaire. Des tensions autour de l’appellation de la nouvelle entité illustrent déjà bien la remarque. A Chirac (Lozère), aujourd’hui baptisée Bourgs sur Cologne, la population a lancé une pétition pour sauvegarder son illustre nom. A Moret-sur-Loing (Seine et Marne), les élus ont déjà fait marche arrière. Et rebaptisé la commune nouvelle : Moret-Loing-Orvannes et non Orvannes. La disparition du patronyme du célèbre site touristique de Moret-sur-Loing avait soulevé la colère de ses habitants.

Quatorze places de l’Eglise

En attendant, d’autres difficultés sont apparues. A commencer par les adresses doubles, voire triples… Toutes les communes nouvelles se retrouvent ainsi avec deux ou trois rues portant des noms identiques (rue de l’église, rue de la mairie…) ou très proches (rue de Tours et route de Tours…). On constaterait en moyenne seize rues en doublon par commune créée. Et celle de Charny-Orée-de-Puisay (Yonne) possède quatorze places de l’Eglise ! Théoriquement, la nouvelle adresse doit aujourd’hui mentionner le nom de l’ancienne commune et celui de la nouvelle… Mais cela implique de modifier un certain nombre de logiciels dans les administrations et entreprises. Autres soucis : l’obligation pour les habitants de procéder au changement de leurs cartes grises et de leur plaque d’immatriculation, ou encore pour les entreprises de modifier (en payant) leur K bis…

Les Echos 01/06/2016