L’avènement de la voiture autonome semble inéluctable. Ce développement n’est pas sans risque pour les constructeurs, qui font face à l’arrivée d’acteurs nouveaux mais également à des changements de leur modèle économique.
La Google Car accumule les miles depuis plusieurs années sur les routes américaines. Toyota a profité du sommet du G7, fin mai à Ise-Shima, pour montrer son savoir-faire dans le domaine de la conduite autonome. La plupart des constructeurs, dont les français Renault et PSA, font circuler des démonstrateurs de véhicules autonomes. Les propriétaires de Tesla ne cessent de mettre en ligne des vidéos montrant les «exploits» de leur voiture lorsqu’ils ne tiennent pas le volant. Les voitures autonomes sont déjà dans nos rues, même si le chemin vers la voiture sans conducteur sera encore long.
Tous les acteurs du monde de l’automobile se préparent à cette généralisation. Mais pas seulement, comme le montre l’irruption des acteurs venant du monde de la technologie, comme Google ou Apple, ou des services, à l’instar d’Uber. Les gagnants seront ceux capables d’inventer des nouveaux modèles économiques, dans un monde où la technologie va bouleverser les usages.
● Vers la voiture sans chauffeur
BMW, Mercedes, Audi, sans parler de Tesla, proposent déjà des systèmes d’aide à la conduite, qui peuvent rendre les voitures partiellement autonomes. Guillaume Crunelle, associé responsable de l’industrie automobile chez Deloitte, estime que ces technologies sont présentes dans les voitures depuis bien longtemps. «Le système d’aide au freinage ABS était déjà un premier pas vers l’autonomisation de la conduite», affirme le consultant, pour qui «les modèles actuellement dans le commerce sont en voie d’autonomisation, plutôt qu’autonomes». Les programmes des constructeurs sont déjà très précis pour la diffusion de ces technologies. Carlos Ghosn, le PDG de Renault et de Nissan, promet ainsi de lancer «plus de dix véhicules utilisant la technologie de conduite autonome» d’ici à 2020. Avec un cadencement très précis: autonome sans changement de voie pour 2016, avec changement de voie pour 2018 et totalement autonome en 2020.
Ces véhicules sont une solution à l’engorgement urbain, libéreront les espaces aujourd’hui dévolus aux parkings et, peut-être le plus important, feront disparaître les accidents
Ce développement est inéluctable, selon Guillaume Devauchelle, directeur de l’innovation chez l’équipementier Valeo, puisque «la voiture autonome représente la solution la plus évidente pour régler les problèmes de circulation dans les grandes métropoles». On peut imaginer que ces autos autonomes se gareront seules et qu’il faudra moins de véhicules à partir du moment où ils serviront à plusieurs usagers, en fonction des besoins déterminés en temps réel. Ces véhicules sont une solution à l’engorgement urbain, libéreront les espaces aujourd’hui dévolus aux parkings et, peut-être le plus important, feront disparaître les accidents.
L’apparition de la voiture autonome dans nos rues reste encore conditionnée au franchissement de deux obstacles. Le premier est réglementaire. En Europe, et dans de nombreux autres pays, la convention de Vienne de 1968, qui fixe les grands principes de la circulation automobile, a bénéficié d’un toilettage en mars dernier. Elle autorise désormais un certain nombre d’aides à la conduite… déjà présentes dans certains modèles haut de gamme. Pour autant, elle précise toujours que «le conducteur d’un véhicule doit éviter toute activité autre que la conduite». Et contraint, surtout, un véhicule à «avoir un conducteur». Un obstacle réglementaire qui sera sans doute surmonté, mais qui se comprend: la voiture autonome doit avoir un taux de fiabilité de 100 %, pas moins.
Autre obstacle: «l’acceptation sociale de la voiture autonome», selon Sébastien Amichi, consultant en charge du secteur automobile chez Roland Berger. Lâcher le volant représente un vrai stress pour un conducteur. Il est impératif d’être en pleine confiance pour le faire. Quoi qu’il en soit, l’idée progresse. Dans son édition 2016, l’Observatoire Cetelem qui sonde les conducteurs de 15 pays indique que 55 % d’entre eux se déclarent intéressés par la voiture autonome. La différence est cependant énorme entre les Chinois, enclins à lâcher le volant à 81 %, et les Américains, qui sont seulement 32 % à l’envisager. Convaincre les conducteurs de pays où la conduite automobile est ancrée dans plusieurs décennies de pratique sera plus compliqué que dans les nations émergentes.
● Un potentiel de marché exceptionnel
Tous les grands constructeurs automobiles travaillent dans le domaine de la conduite autonome. Leurs grands équipementiers également. Et de nombreux acteurs nouveaux s’y mettent également. Google depuis des années. Aujourd’hui, c’est Uber qui commence à en tester un. Les enjeux financiers justifient ces investissements. Le cabinet de conseil AT Kearney évalue à 47 milliards d’euros le marché mondial de la conduite autonome dès 2020.
Un marché évalué à 515 milliards d’euros en 2035
Mais ce n’est rien au regard de ce qu’il pourrait atteindre dans les années suivantes. Il pourrait grimper à 260 milliards en 2030. Et atteindre 515 milliards d’euros en 2035, toujours selon AT Kearney. Ce marché recouvre de nombreux domaines, depuis les logiciels, en passant par les éléments permettant aux véhicules de communiquer entre eux ou avec des infrastructures, ou encore les systèmes de sécurité et les éléments permettant directement la conduite autonome (pilote automatique, assistance de parking, gestion des distances…).
Assez logiquement, le prix des véhicules va grimper. Boston Consulting Group (BCG) estime à 3 800 dollars le surcoût par véhicule d’un pilotage automatique sans changement de file. Et à près de 10 000 dollars le surcoût d’un véhicule totalement autonome.
Avec l’augmentation du nombre de véhicules autonomes, les prix baisseront rapidement de plus de 40 % pour le pilote automatique en simple file, et de près de 30 % pour la voiture autonome, dix ans après leur apparition.
Le Figaro 07/06/2016