L’économie collaborative s’épanouit aussi dans les ports

 

Après la voiture ou le logement, la location entre particuliers s’étend aux bateaux de plaisance. Quatre start-up dominent le marché français

La vague est en train de monter. Les premières plates-formes de mise en relation de particuliers pour la location de bateaux de plaisance avaient vu le jour courant 2013. Leur usage connaît un véritable engouement sur les pontons de Bretagne, d’Aquitaine, de la Côte d’Azur, de Corse ou d’outre-mer.

Sur la quinzaine de start-up de ce tout jeune secteur,  » quatre sortent du lot « , précise Laurent -Calando, le fondateur de Samboat, l’une -d’entre elles. Cette société a levé 1  million d’euros auprès de l’assureur MAIF fin juillet. Et comme elle, Boaterfly, Click &  Boat et Sail-sharing attirent les investisseurs. La première a levé 500 000  euros en  2015, la deuxième a obtenu 700 000  euros, tandis que Sail-sharing espère récolter 800 000  eu-ros à l’automne.

Avec une flotte de 1 million de navires immatriculés en France et 9 millions de Français souhaitant accéder aux joies de la plaisance, selon la Fédération des industries nautiques, le marché du nautisme est gigantesque. Et les quelque 630  loueurs professionnels ne peuvent répondre à l’attente.  » Entre le 14  juillet et le 15  août, la demande de bateaux est bien supérieure à l’offre « , constate Edouard Gorioux, cofondateur de Click &  Boat. Le tout, alors que les ports français accueillent quelque 200 000 bateaux à l’année.

 » Quand il y a des bateaux qui dorment 350  jours par an, c’est qu’il y a un actif inutilisé « , poursuit l’entrepreneur. Et une opportunité de faire des affaires qui n’est pas exploitée.  » Entre la place au port, la maintenance et l’hivernage, un voilier ou un bateau à moteur peut coûter jusqu’à 10 000  euros par an… En les louant, les propriétaires peuvent couvrir leurs coûts « , reprend Laurent -Calando, de Samboat.

Ça, c’est la théorie. En pratique, la mise en route a été très lente pour ces entreprises.  » Quand vous êtes propriétaire de votre embarcation, la louer à un inconnu n’est pas franchement évident. Il faut lever les réticences et rassurer. Nous sommes un tiers de confiance « , explique Edouard Gorioux.

 » On a fait un long travail d’“évangélisation”, explique Olivier Guiraudie, l’un des pionniers du secteur avec la société Sailsharing, lancée en  2013. Avec le développement de l’économie collaborative, le phénomène a commencé à séduire il y a trois ans. Depuis six mois, on sent même un véritable engouement. Nous comptons désormais 3 100  bateaux sur notre plate-forme, et pensons atteindre les 4 500 en fin d’année. En  2013, quand j’ai commencé, nous avions quinze embarcations. « 

Ses concurrents affichent entre 5 000 annonces (Click &  Boat et Samboat) et 2 000 annonces (Boaterfly), et comptent plusieurs -dizaines de milliers d’utilisateurs enregistrés.

De 50 à 20  000 euros la journée

Sur ces sites, on trouve de tout et pour toutes les bourses : des voiliers, des canots semi-rigides à moteur, des catamarans ou des yachts. Les tarifs de location varient de 50 à  20 000  euros par jour. Et les plaisanciers sans permis peuvent toujours faire appel au propriétaire ou à un skipper professionnel.

Certains acteurs traditionnels du secteur de la plaisance ont eu du mal à accepter les nouveaux venus, à l’image du port d’Arcachon (Gironde), qui a tenté d’interdire les plates-formes de location entre particuliers. Quant aux loueurs professionnels, ils restent méfiants, même si certains profitent de ces sites pour proposer leurs bateaux.

 » La location entre particuliers est beaucoup plus flexible que la location professionnelle, généralement impossible en dessous d’une semaine entière, relève Guillaume de Corbiac, cofondateur de Boaterfly. S’il fait beau, vous pouvez réserver un bateau à la dernière minute. Et grâce à nos offres, il est possible d’accéder à des embarcations bien plus confortables et mieux équipées. «  Le tout pour un tarif de location inférieur de 25 % à 30 % à ceux pratiqués par les professionnels, assurent toutes les plates-formes.

 » Contrairement au marché de la location automobile, où vous avez quelques mastodontes comme Hertz, Avis ou Europcar, ajoute Edouard Gorioux, le marché de la location de bateaux est très éclaté en France. Cela donne un poids plus important aux plates-formes dans ce secteur. « 

Les plus intéressés par l’émergence de ces nouveaux venus sont les constructeurs :  » Leur intérêt est de baisser le coût d’usage de leur produit afin d’en vendre davantage « , relève un professionnel. Bénéteau, le leader français, travaille son offre, tandis que Zodiac, le spécialiste des bateaux pneumatiques, est passé à l’action en lançant un partenariat avec Click &  Boat. Pour amortir la vente de ses bateaux, il propose de les mettre en location chez son partenaire.

Reste à savoir qui sera le futur Airbnb du bateau. Tous les acteurs actuels s’attendent en effet à une rapide consolidation, car le marché est restreint : le chiffre d’affaires du secteur atteint 250  millions d’euros en France.  » Et la location entre particuliers peut espérer récupérer à  terme 10 % de ce marché, contre moins de 1 % aujourd’hui « , relèvent les différents dirigeants.

Concurrence étrangère

A part Click &  Boat, qui se dit -rentable et revendique la place de leader français, tous perdent de l’argent, avec des volumes d’affaires relativement modestes, allant de quelques centaines de milliers d’euros à 1 million d’euros.  » Aujourd’hui, on échange tous au sujet d’un rapprochement, explique un patron du secteur. L’intérêt serait de se regrouper pour conquérir d’autres marchés. On le sait tous, mais chacun pense qu’il a le meilleur service… « 

L’enjeu, en effet, n’est pas seulement le marché français, mais le développement à  l’international.  » Rien qu’en Europe, le secteur de la location de bateau est évalué à  1,5  milliard d’euros. Il faut croître car il existe déjà d’autres acteurs un peu partout sur la planète « , dit Edouard Gorioux, dont la -société, Click &  Boat, est déjà -implantée hors de France sur cinq sites en Méditerranée. Samboat est aussi présent à l’étranger avec un site bientôt disponible en sept langues.

Il faudra vite faire ses preuves car de nombreuses start-up étrangères n’ont pas attendu les plates-formes françaises. Les américaines Boatbound, Sailo et Getmyboat font déjà office de mastodontes. Cette dernière propose 58 000  bateaux dans 169  pays. La régate est lancée.

Le Monde 16/08/2016