Comment Google s’insère dans le marché des transports urbains

 

Avec Sidewalk Labs, le géant développe une plate-forme couplant les offres de transport public, de VTC, et les places de parking disponibles. Et veut réorienter les subventions publiques.

En juillet dernier, Colombus, la capitale de l’Ohio, a remporté le concours Smart City organisé par le ministère américain des Transports. A la clé, 50 millions de dollars versés par l’Etat fédéral, mais aussi la mise à disposition d’outils par Sidewalk Labs pendant trois ans. Cette société a été créée il y un an par Alphabet, la maison mère de Google, pour aider les villes à régler leurs problèmes d’urbanisme. Elle a d’abord travaillé au déploiement d’une centaine de kiosques à Wi-Fi gratuit dans New York, puis a récemment dévoilé la mise au point d’une plate-forme de coordination de toutes les mobilités, publiques et privées, accompagné d’un outil de gestion des places de parking.

Dans les documents fournis aux organisateurs du Smart City Challenge, obtenus par le quotidien britannique « The Guardian », Sidewalk Labs dévoile un plan très ambitieux, qui pourrait gêner les opérateurs existants, comme les français Transdev et Keolis. La filiale d’Alphabet veut construire une application rassemblant toutes les options de transport – bus, trains, VTC, vélos, autopartage… -, ainsi que les places de parking disponibles, avec une solution de paiement mobile intégrée. Elle propose de rediriger les subventions finançant les tarifs réduits dans les transports publics vers le portefeuille des usagers modestes, afin qu’ils puissent choisir de dépenser cet argent aussi bien sur un ticket de bus qu’un trajet en Uber.

Un « Airbnb du parking »

« Les systèmes d’autopartage peuvent compléter plutôt que concurrencer les transports publics », assure Daniel Doctoroff, directeur général de Sidewalk Labs, dans une tribune au magazine « Inc ». Quelques villes américaines ont commencé à explorer cette voie : depuis mars, Altamonte Springs (Floride), subventionne ainsi à hauteur de 25 % les trajets en Uber depuis la station de train, si la destination reste dans les limites de l’agglomération. Un programme controversé, qui va coûter 300.000 dollars à la municipalité… En mai, Philadelphie a annoncé un programme similaire. Et Dublin, une ville de la baie de San Francisco, va subventionner certains trajets en Uber et Lyft à partir de septembre.

Sidewalk Labs propose également de créer un « Airbnb du parking », en permettant aux bureaux et centres commerciaux de louer leurs places lorsqu’elles sont vides. La société estime que ce système permettrait à la ville de mieux financer les transports publics. Sidewalk Labs souhaite faire fluctuer le prix en fonction de la demande, avec des tarifs plus élevés aux heures de pointe, une variation qui augmenterait de 10 % les revenus des parkings, assure-t-elle. Ce système a été adopté depuis cinq ans par certains quartiers de Seattle et de San Francisco, puis étendu à d’autres villes, comme Los Angeles et Washington.

La collecte de données, l’objectif ultime

Si d’autres sociétés comme Moovel, une filiale de Daimler, se sont également placées sur le créneau de la coordination des transports, Google bénéficie d’une longueur d’avance dans la collecte des données. Pour diriger les conducteurs vers les places de parking libres, elle compte ainsi combiner les informations recueillies par sa flotte de voitures équipées de caméras sillonnant les rues, les données des conducteurs utilisant Google Maps comme GPS et celles des parcmètres.

La société s’est imposée comme un partenaire essentiel des autorités de transport américaines, qui, contrairement aux françaises, ne sont pas réticentes à partager leurs données avec la société californienne. Celle-ci a joué un rôle central dans la création du premier standard de partage de données (arrêts et horaires de bus et de train) en 2005, en partenariat avec l’autorité de transport de l’Etat de l’Oregon. « Aujourd’hui, 90 % des autorités de transport public utilisent la plate-forme pour communiquer sur les trajets de bus ou de trains en temps réel », assure Daniel Grisby, le directeur de la recherche chez l’APTA (American Public Transportation Association).

La version choisie par Colombus reste cependant bien plus modeste que ce qu’imaginait Google : un back-office qui permettra aux institutions de santé d’organiser les transports de leurs patients. Pour le paiement, elle compte plutôt mettre en place une carte de paiement universelle, « de nombreuses personnes des quartiers pauvres n’ayant pas de compte bancaire, et ne pouvant donc pas commander d’Uber ou de Lyft », souligne Aparna Dial, la responsable du programme Smart City de la ville. Qui prend bien la peine de souligner qu’ « aucun contrat n’a encore été signé ».

Les Echos 23/08/2016