Une étude mesure pour 400 aires urbaines leur capacité à conserver localement la richesse produite, sachant que Paris et les métropoles captent entre deux tiers et trois quarts de leur production. Des petites villes comme Montélimar se révèlent performantes.
Attirer des entreprises et favoriser la production locale, c’est bien, encore faut-il pour un territoire conserver cette richesse. C’est la thèse que soutiennent le cabinet Utopies et son spécialiste en économie territoriale, Arnaud Florentin, dans une étude qui sera publiée prochainement, mesurant la capacité des 400 premières aires urbaines à capter la richesse produite. Autrement dit, pour 100 euros d’euros dégagés, combien en reste-t-il localement trois ans après ? Une démarche déjà très développée dans certains territoires américains comme l’Arizona.
De fortes différences de performances
Le cabinet a fait tourner des modèles simulant les échanges au sein des acteurs économiques de 380 secteurs dans chaque territoire. Les calculs déterminent par exemple le comportement moyen des imprimeurs locaux, à savoir où achètent-ils leur papier, par exemple, à qui vendent-ils leurs produits, où sont dépensés les salaires versés. Dans l’économie de la santé, les flux des médecins généralistes, des ambulanciers, des hôpitaux sont différenciés. Au final, en soustrayant la production locale des fuites de richesse, les économistes obtiennent le « multiplicateur local ». Le cabinet revendique de 10 % à 20 % d’erreur seulement.
Paris figure loin en tête avec 73 euros de multiplicateur local. L’étude affine même la circulation de cette manne : 33,70 euros profitent à la chaîne de fournisseurs locale, 32,9 sont réinjectés localement via les salaires et 7,1 sont réinvestis par la fiscalité locale. Paris est suivi du deuxième champion de l’économie locale, Lyon, à 57 euros, puis un peloton de métropoles entre 40 et 50 euros. La taille du bassin de vie semble agir comme un trou noir aspirant en son coeur l’activité économique. Toutefois, même au sein de cette catégorie, on constate des différences de performances entre collectivités.
Pour pousser l’analyse plus loin, les auteurs de l’étude ont décorrélé le multiplicateur local de la taille du territoire et, cette fois, les champions sont plus surprenants. Montélimar et une foule de petites villes de moins de 50.000 habitants se révèlent plus locavores que des communes de taille équivalente, dans un écart de multiplicateur d’environ 5 à 6 euros.
« Certaines économies s’avèrent très locales. Pour simplifier, c’est l’exemple du nougat de Montélimar, dont les producteurs se fournissent en ingrédients dans les environs. A contrario, on voit que Le Havre ou Dunkerque sont des ports qui ne captent pas suffisamment la richesse qui passe à travers leur territoire. »
Le poids des métropoles
Dans les métropoles, Nantes brille : elle produit 55 milliards d’euros, dont 29 milliards d’euros irriguent sur la durée le territoire, soit 2,8 milliards de plus qu’une aire urbaine comparable. A Lille, c’est 3,1 milliards de plus. « Un excellent retour sur investissement », conclut l’étude. A contrario, Béthune perd 1 milliard d’euros.
Au-delà de la taille, les économistes ont identifié deux points clefs qui sous-tendent les résultats. Sans surprise, la présence de locomotives économiques très ancrées dans le territoire est un atout indéniable. Autre constat, les économies trop spécialisées sont sanctionnées, les tissus plus diversifiés promettent plus d’échanges locaux. « La présence d’économies plus « complexes » dans la partie sud de la France explique la plus forte densité d’aires urbaines avec un effet multiplicateur élevé », explique l’étude. « Certains développeurs économiques le savent, l’attractivité ne suffit pas, encore faut-il favoriser des entreprises servant l’économie locale. C’est ce que nous appelons des entreprises pollinisatrices : il vaut mieux souvent implanter des dizaines de PME qu’un gros centre logistique », résume Arnaud Florentin. Cette approche pourrait être utilisée par le comité d’organisation des JO 2024 à Paris pour asseoir le développement local du projet.
On peut être une petite ville de la Drôme de 30.000 habitants et champion de l’économie locale. Montélimar est l’exemple même du territoire qui a su entretenir une économie autarcique. Ses exportations par habitant sont inférieures à la moyenne (33.817 euros), mais, selon Utopies, les forts liens économiques locaux « viennent compenser un certain manque d’impact direct ». L’analyse du multiplicateur local de chaque secteur présent à Montélimar montre que tous participent au dynamisme local, que ce soit l’industrie, les services ou l’économie résidentielle. Cette aire urbaine réunit les principales qualités identifiées par l’étude. Sa diversité économique montre un niveau de ressemblance de près de 45 % avec l’économie française (67 % pour Paris). L’aire est dynamique : chaque année, le volume d’échanges y représente plus de 15.300 euros par habitant entre entreprises ou entre entreprises et ménages, soit près de 1.900 euros de plus que pour une aire urbaine de taille comparable.
Le Havre est l’aire urbaine qui sous-performe le plus : sur 100 euros produits, elle retient localement 24,40 euros, soit 15,50 euros de moins que les collectivités de taille comparable. Saint-Nazaire et Dunkerque figurent au même tableau des cancres du localisme, avec respectivement 9,80 euros et 8,40 euros de moins. Elles sont pourtant loin d’être des mauvais élèves économiques. Dunkerque, par exemple, présente un niveau d’exportation par habitant nettement supérieur à la moyenne (68.510 euros). Mais leur économie de passage, orientée entre mer et terre, tend à les défavoriser. Le niveau de diversité de l’économie de Saint-Nazaire et du Havre avoisine les 30 %, celui de Dunkerque les 40 %, alors que les grandes villes dépassent généralement les 50 %.Dunkerque a pris conscience de l’opportunité d’ancrer davantage d’activités et développe depuis quelques années avec sa voisine Grande-Synthe une nouvelle économie fondée sur les énergies alternatives, l’économie circulaire. Utopies tient le même discours sur Le Havre, très performant à l’exportation.
Les Echos 22/09/2016